Seuls à même de voir les femmes avant les fractures et de repérer les patientes à risque, les gynécologues doivent rester au cœur du dépistage et du traitement de l’ostéoporose et ainsi améliorer espérance et qualité de vie des femmes.
Cela fait bien longtemps que l’ostéoporose est sortie du champ de la médiatisation grand public et… des préoccupations des gynécologues. Après des années de fortes communications et d’interventions dans nos congrès et revues dans les années 2000 l’ostéoporose semble avoir perdu de son intérêt pour les gynécologues. L’ostéoporose et sa prévention serait-elle une pathologie qui n’a jamais existé et vis-à-vis de laquelle nous n’aurions aucun rôle à jouer ?
Le « génériquage » de la plupart des anciennes molécules disponibles, le retrait de Protelos® condamné à mon avis de façon expéditive, l’influence néfaste des media terrorisant les femmes et leurs dentistes quant au risque de « nécrose de la mâchoire ont-ils fait disparaître cette méchante pathologie source de souffrances et de décès ? Faut-il comprendre que la promotion de l’industrie pharmaceutique est indispensable à la prise de conscience de la réalité d’une pathologie et de sa prévention ? Bien sur l’ostéoporose et ses méfaits persistent, voire augmentent en accompagnant l’espérance de vie à la hausse de nos contemporains. Faisons le point en cet été 2018.
Les généralités qu’il faut rappeler
L’ostéoporose est une maladie diffuse du squelette, caractérisée par une diminution de la masse osseuse et une détérioration de la microarchitecture osseuse du tissu osseux, responsable d’une augmentation de la fragilité osseuse et du risque de fracture (ANSM). L’âge moyen de survenue des fractures est de plus de 80 ans pour l’extrémité supérieure du fémur (50 000/an), de 68 ans pour les vertèbres 40 à 70 000/an) et de 5 ans pour le poignet (35000). (Baudoin C., Fardellone P. et al., Osteoporosis International, 1996 ; 6 : 1-10). La prévention des fractures c’est donc habituellement entre 55 et 70 ans qu’il faut s’en préoccuper et… c’est l’âge de nos patientes ! Voici pourquoi ce sont les gynécologues qui sont au premier rang si l’on souhaite réellement mettre en oeuvre une politique de prévention.Si l’on veut jouer un rôle dans l’épargne fracturaire de nos patientes – et nous le voulons absolument car c’est notre mission – ce sont d’abord les différents facteurs de risque qu’il faut rechercher afin de sélectionner les femmes à risque.
Les moyens d’évaluation du risque osseux de nos patientes
L’interrogatoire
Fondamental il doit faire partie systématique de notre consultation pour nos patientes post ménopausées. Voici par exemple les 9 questions clés à poser pour l’IOF (International Osteoporosis Foundation)
- Votre père ou votre mère se sont-ils fracturés le col du fémur à la suite d’un choc ou d’une chute sans gravité ?
- Vous êtes-vous fracturée à la suite d’un choc ou d’une chute sans gravité ?
- Avez-vous été sous corticoïdes pendant plus de trois mois ?
- Votre taille a-t-elle diminué de plus de 3 cm ?
- Buvez-vous régulièrement de l’alcool (au-delà des limites raisonnables : > 3 verres de vin (ou équivalent) par jour) ?
- Fumez-vous plus de 20 cigarettes par jour ?
- Souffrez-vous de diarrhées à répétition (liées notamment à une maladie coeliaque ou à une maladie de Crohn) ?
- Avez-vous été ménopausée avant l’âge de 45 ans ?
- Vos règles se sont-elles interrompues pendant 12 mois ou plus (pour une autre raison que la grossesse) ?
Les facteurs de risque à rechercher sont : les fractures après faible traumatisme depuis l’âge de 40 ans (excluant les fractures du crâne, orteils, doigts, cervicales), les antécédent maternel de fracture ostéoporotique, l’âge > 65 ans, le BMI <19 Kg/M2, les antécédents d’aménorrhées prolongées, la ménopause précoce, les corticothérapies prolongées (équivalent prednisone 7,5mg/J)> 3 mois, les pathologies prédisposant à l’ostéoporose: les chimiothérapies, les anti aromatases, les défaillances ovariennes précoces, les hyperthyroïdies non traitées, les hypercorticismes, l’hyperparathyroïdie, les agonistes du LH-RH> 6 mois, l’acétate de cyprotérone non ou mal compensé en E2, les macroprogestatifs au long cours, l’ovariectomie bilatérale, l’absence de THS en post ménopause, les THS à doses ou durées insuffisantes, l’immobilisation prolongée, les diarrhées à répétition (Crohn), moins de 4 produits laitiers par jour, la sédentarité, l’alcoolisme et bien sur les antécédents de fractures ostéoporotique…
La densité minérale osseuse
Elle est à mon sens essentielle dans les années d’installation de la ménopause : systématique elle permet de situer cette femme parmi celles ayant un capital osseux normal ou exceptionnel, ostéopénique ou ostéoporotique. C’est le Tscore qu’il faut regarder au reçu de l’examen : T. Score>+0.5 DS exceptionnel, +0.5>T<-1DS : normal, -2.5 <TS< -1DS : ostéopénie, TS <-2.5 DS : ostéoporose. De plus cet examen détermine une référence individuelle à date : la stabilité ou la perte osseuse au fil des années pourra ainsi être évaluée si nécessaire. Malheureusement une minorité de femmes présentant une liste limitée de facteur de risque se verra rembourser cet examen (une quarantaine d’euros).
La biologie
- L’indispensable : NFS, VS, Calcémie, Créatininémie, Phosphorémie, Electrophorèse des protides, Calciurie, Créatininurie.
- L’optionnel : PTH, TSH, Vitamine D. Quant aux marqueurs osseux, ils sont les témoins de la vitesse du remodelage osseux. Ces protéines sont en corrélation directe avec le risque de fracture : un taux élevé des marqueurs de la résorption multiplie par deux le risque fracturaire chez la femme de 65 ans. Leur recherche est complémentaire aux résultats de la densitométrie osseuse quand on a trouvé des chiffres bas. Leur prescription permet une meilleure prédiction du risque. Ils représentent pour beaucoup une triple aide : à l’évaluation du risque de fracture, à la décision thérapeutique et au suivi thérapeutique. En pratique ce sont les Telo peptides du collagène osseux de type 1 (CTX sérique (Cross laps®, NTx) = marqueur de la résorption osseuse, Ostéocalcine : protéine marqueur de la formation osseuse). Cependant ils ne font pas l’unanimité car ils sont d’une très grande variabilité individuelle. Nb : les conditions de prélèvement sont fondamentales : ils doivent être prélevés tôt le matin et à jeun.
Le Frax (John A Kanis, Université de Sheffiel)
- Le test peut être réalisé sur internet en quelques secondes pour chaque patiente (et en Français). Les données obtenues sont les probabilités sur 10 ans d’une fracture majeure ostéoporotique : fracture clinique de la colonne vertébrale, avant-bras, hanche ou de l’épaule
- INUTILE quand l’indication de traiter est évidente : antécédent de fracture sévère, antécédent fracture non sévère et T Score ≤-2, en l’absence de fracture mais avec un TScore ≤-3 à l’un des 2 sites.
Décider un traitement : OUI ou NON ?
À l’issue de cette enquête il faut faire la synthèse des facteurs de risques + la densité minérale osseuse + la biologie et éventuellement le FRAX. L’objectif est de sélectionner les femmes à risque chez qui une prise en charge thérapeutique ou de suivi est nécessaire. Les stratégies et molécules disponibles sont :
- Le THM à doses suffisantes,
- Les bisphosphonates : depuis le Didronel® (AMM 1991) et les différents bisphosphonates déclinés ensuite sous différentes posologies : Fosamax® (AMM 1997),Actonel®(AMM 2001), Optruma ® (AMM 2001), Bonviva®(AMM 2007), Aclasta ® (AMM 2008) jusqu’ l’Actonel® gastro résistant (AMM 2018),
- Les autres molécules : Evista® (AMM 1998), Forstéo® (AMM 2004), Prolia® (AMM 2011).
1 / En l’absence de fracture
Notre objectif : réduire le nombre de fractures des 5 à 10 années suivantes.
Effectuer une densité minérale osseuse (en fonction des FDR, ou systématique ?) remboursée dans certaines conditions, et si :
- T < ou = -3 : un traitement est recommandé (Grade A)
- T > -3 l’indication est classiquement basée sur le FRAX et sur l’âge.
Les molécules au choix et par ordre alphabétique :
- Acide zoledronique 5 mg : 1 perfusion/an,
- Alendronate 70 mg : hebdomadaire (ou 10 mg/j),
- Denosumab 60 mg : 1 injection SC tous les 6 mois,
- Ibandronate : 150 mg/mois (si risque de fracture périphérique peu élevé),
- Raloxiféne : 60 mg/jour (si risque de fracture périphérique peu élevé),
- Risedronate : 35 mg : hebdo ou 75 mg : 2 c/mois ou 5 mg/j,
- THM, il y a consensus :
- Oui si symptômes climatériques entre 50 et 60 ans : la durée sera fonction des troubles après évaluation régulière des bénéfices/risques (Grade A),
- Oui si intolérance aux autres traitements même sans symptômes climatériques,
- Si les posologies E2 < aux doses réputées protectrices osseuses : on peut rajouter un autre traitement anti-ostéoporotique au THM.
2 / En cas de fracture non sévère (poignet et autres sites)
- Si T score < ou = -3 : traiter
- Si Tscore > -3 : décider traitement après calcul du Frax et en fonction de l’âge.
Les molécules au choix et par ordre alphabétique :
- Ac. zo, alendr.,deno.,iban.,ralox.,risedron.,teriparat,
- THM : entre 50 et 60 ans si symptômes ou pas de symptômes mais intolérance aux autres molécules,
- Ralox et Ibandr : si risque de fracture périphérique peu élevé.
3 / En cas de fractures sévères (extrémité supérieure du fémur, vertèbre, fémur distal, extrémité supérieure humérus, bassin, tibia proximal, 3 côtes simultanées)
Le traitement est institué d’emblée quel que soit l’âge. Les molécules au choix et par ordre alphabétique :
- Acide Zolédronique, Alendronate, Denosumab, Risedronate, Teriparatide si 2 fract. vertebrales prévalentes;
- En première intention si fracture extrémité supérieure du fémur : acide zolédronique (Grade A).
EN CONLUSION
- Seules les gynécologues voient les femmes avant les fractures : la prévention est à leur portée,
- Dépister les femmes à risque est aussi à leur portée,
- Seuls les gynécologues savent réellement aujourd’hui prescrire le THM,
- Nous disposons aussi de nombreuses molécules efficaces en prévention : la plupart d’entre elles peuvent être prescrites par le gynécologue (avec éventuellement bien sur l’avis du rhumatologue en cas de cas clinique difficile).
Dr David Elia
Rédacteur en chef, gynécologue
L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts pour cet article.
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