Quelles sont les grandes étapes de votre carrière au regard des évolutions et/ou révolutions de votre discipline ?
Je suis issu d’une famille lyonnaise non médicale et j’ai commencé mes études de médecine en 1963. J’ai réussi l’internat en 1970 à Lyon. A l’époque, le concours était régional. J’ai terminé mon internat en 1975 après le service militaire.
J’ai effectué alors un clinicat de 4 ans, d’abord 2 ans en gynécologie obstétrique, puis 2 ans en chirurgie gynécologique et oncologie. J’ai obtenu ainsi mon CES de gynécologie-obstétrique puis de chirurgie générale.
Mon cursus A 2T2 a été assez polyvalent. J’ai fait de la gynécologie-obstétrique puis je me suis orienté vers la gynécologie chirurgicale et la cancérologie.
A l’issue de ce clinicat, j’aurais pu m’installer en libéral mais je commençais à penser à une carrière hospitalo-universitaire. Il n’y avait pas de place immédiatement à Lyon, j’ai donc pris un poste de praticien hospitalier, chef de service, pendant 4 ans à Bourg en Bresse. J’en garde un excellent souvenir. J’ai été rappelé à Lyon par le Pr DARGENT, de renommée internationale. Il m’a proposé un poste de PU-PH en accord avec le Pr ROCHET. Comme j’hésitais un peu, il m’a conseillé de me décider rapidement et je l’ai rappelé le soir même… Je me suis ensuite orienté vers la chirurgie gynécologique et mammaire. La chirurgie pelvienne avait de loin ma préférence.
Vos deux noms sont souvent associés !
Effectivement, le professeur DARGENT a été le patron que j’ai le plus admiré. Je suis passé devant une commission appelée le Comité National Universitaire pour être nommé PU-PH en 1984. J’ai été nommé à l’Hôtel Dieu de Lyon qui a fermé définitivement en 2010. Je suis parti au Centre Hospitalier Lyon Sud dès 2005 et j’ai terminé ma carrière universitaire en 2015.
Etes-vous resté exclusivement à Lyon ?
A partir du moment où j’ai été PU-PH, j’ai été amené à beaucoup me déplacer pour participer à des congrès et des enseignements post-universitaires. Les échanges entre Lyon et Paris étaient importants, surtout quand j’ai été nommé membre élu du CNU. Nous étions 110 professeurs de gynéco obstétrique en France, il y a une dizaine de membre au CNU (la moitié est élue, l’autre moitié est nommé par le ministère). Les réunions avaient lieu à Paris.
A partir du moment où vous êtes PU/PH, vous faites des enseignements ?
Effectivement en tant que praticien hospitalier et universitaire, j’avais des cours à faire. J’enseignais la gynécologie obstétrique en 4ème et 5ème année de médecine et à l’école de sages- femmes également. Il y avait aussi des enseignements de spécialité avec des thèmes de prédilection pour chacun. J’ai été également appelé à l’étranger pour des cours spécifiques en particulier sur la chirurgie des malformations gynécologiques et les fistules vésico ou recto-vaginales.
Quelles ont été vos principales thématiques de recherche ?
En ce qui concerne mes recherches, j’ai étudié les greffes de cellules souches avec le Pr Jean-Louis Touraine (spécialiste en immunologie) On faisait des ponctions du cordon chez le fœtus à partir de 16 à 18 semaines. Par exemple quand le fœtus est diagnostiqué atteint d’un déficit immunitaire combiné sévère, risque qui survient une fois sur 4 chez les patientes porteuses de la mutation, soit vous faites une interruption de grossesse, soit vous pouvez essayer de le traiter in utero, entre 16 à 18 semaines de grossesse, en faisant une greffe de cellules souches par ponction du cordon sous contrôle échographique.
Les travaux que j’ai faits ont souvent été motivés par un fait clinique ou un accident que j’ai moi-même rencontré. J’ai fait beaucoup de recherche sur les accidents liés aux tampons vaginaux. Par exemple, lorsque j’étais à Bourg en Bresse, une femme était dans le coma et présentait un choc toxique. Les réanimateurs ne savaient pas d’où venait ce choc toxique, et ils ont appelé à tout hasard le gynécologue. Après un toucher vaginal, j’ai retiré un tampon mais la patiente est décédée quelques heures plus tard. A partir de là, je me suis intéressé au choc toxique staphylococcique, accident plus connu à l’époque aux USA qu’en France. Chaque année il y a des femmes décédées à la suite de chocs toxiques liés au port d’un tampon vaginal. C’est pourquoi il est désormais indiqué sur les boites de tampons qu’en cas de fièvre avec un érythème type coup de soleil et si l’on est porteuse d’un tampon, il faut le retirer immédiatement.
Aux USA, on l’enseigne dans les écoles secondaires depuis les années 2000. C’est regrettable que cela n’ait pas été explicité plus tôt en France.
J’ai fait beaucoup de recherches à ce sujet et on sait maintenant que c’est lié au caractère super absorbant des tampons. L’article que j’avais publié dans Obstretric and Gynecology avait intéressé ou plutôt beaucoup inquiété un représentant de J&J (Johnson & Johnson) rencontré au cours d’un congrès en Suisse. J’ai effectué des recherches ensuite avec J&J, qui sont les plus grands fabricants de tampons au monde. On a alors monté des études en France sur les effets du port du tampon en fonction de son absorbance et les lésions qu’il pouvait donner. Il s’agissait de faire porter des tampons à des jeunes femmes volontaires pendant une heure et faire ensuite une microbiopsie avec étude en microscopie électronique. On voit très bien que si ces tampons sont trop absorbants ils dessèchent la muqueuse. Et si la jeune personne est porteuse d’un certain staphylocoque (staphylocoque rare porteur de la toxine TSST-1), celui-ci peut passer à travers la muqueuse desséchée et provoquer le choc toxique. Ça ne donne pas d’accident si lorsqu’on commence à avoir des symptômes on retire le tampon. Cela commence à être bien relayé aujourd’hui par les médias et la presse féminine. L’absorption des tampons a beaucoup diminué depuis les années 1980 même s’ils contiennent encore la mention « super absorbant ».
Parmi les sujets de recherche, je me suis intéressé aux malformations gynécologiques. Il y a environ 1 femme sur 4 500 qui nait sans vagin et sans utérus. S’il y a environ 500 000 naissances en France, cela en fait quand même un certain nombre de cas à traiter in fine. J’ai appliqué une technique que m’a enseignée le Pr Bernard-Jean PANIEL à Créteil qui consiste à reconstruire le vagin à l’aide d’un segment du colon. Le résultat anatomiquement obtenu est satisfaisant. Ça valait le coup de les aider dans la mesure où elles pouvaient avoir une vie sexuelle normale. C’est le syndrome de Rokitansky, aussi appelé MRKH (Mayer-Rokitansky-Küster-Hauser). La technique aujourd’hui s’est simplifiée. Des dilatations vaginales quotidiennes permettant d’obtenir une cavité vaginale satisfaisante en quelques mois.
Est-ce détecté dès la naissance ? faut-il un suivi ?
Maintenant, on vérifie à la naissance si les organes génitaux externes sont normaux mais c’est souvent détecté par une aménorrhée à 14 /15 ans. Ça se suspecte à l’échographie, il n’y a pas d’utérus ni de cavité vaginale, seuls des ovaires normaux.
L’IRM permet de faire un diagnostic précis. La coelioscopie diagnostique n’est plus nécessaire. La première dilatation peut se faire sous anesthésie avec des bougies d’Hégar, que ces jeunes patientes apprennent à utiliser. La chirurgie de reconstruction avec le colon est rarement nécessaire. Souvent une prise en charge psychologique est nécessaire car elles sont un peu traumatisées d’apprendre qu’elles n’ont pas de vagin et qu’a priori elles ne pourront pas avoir d’enfant.
Quid de la procréation ?
Il n’est pas possible d’avoir d’enfant dans ces cas-là car il n’y a pas d’utérus. Si la mère porteuse était acceptée en France, elles auraient pu avoir des enfants génétiquement à elles, car elles ont des ovules normaux. Il n’y a guère plus de 100 publications dans le monde à ce sujet : les enfants nés par mère porteuse ne sont pas porteurs de la malformation.
L’autre solution est la greffe d’utérus dont quelques cas ont été rapportés dans le monde avec des grossesses menées à terme.
Y a-t-il une autre étape importante de votre vie de chercheur ?
J’ai effectué des recherches sur les tumeurs trophoblastiques ou môles hydatiformes. Une grossesse sur 30 se termine par une fausse couche qui peut être une grossesse molaire.
Cette môle peut devenir tumorale : c’est le choriocarcinome.
J’ai créé un centre de référence des maladies trophoblastiques à Lyon avec mon successeur le Pr F. GOLFIER. Il l’a parfaitement développé en association avec des oncologues médicaux et des pathologistes référents. Ce centre de référence est aujourd’hui connu dans le monde entier.
Une fois le diagnostic établi la grossesse môlaire est traitée par aspiration. Les HCG sont dosés régulièrement jusqu’à négativation. Certaines grossesses môlaires peuvent évoluer vers le choriocarcinome. Le diagnostic est suspecté par la réascension des taux HCG.
Quelle est la prise en charge de ces patientes ?
Les patientes sont suivies évidemment pour la grossesse suivante. Les gynécologues ne rencontrent pas forcément beaucoup ce genre de pathologie. Ils déclarent leur cas avec l’accord de la patiente. Les résultats des dosages d’HCG sont adressés au centre qui les contrôle et conseille le gynécologue sur le suivi et la prise en charge de sa patiente. .
Avez-vous eu des patientes dont les cas ont dégénéré ?
Oui effectivement, dans le cas de la dégénérescence il y a deux protocoles de chimiothérapie. Tout est bien codifié. L’oncologue ne connait pas forcément bien ce genre de protocole, donc la déclaration au centre permet une meilleure prise en charge. Le centre ne se substitue pas au médecin, il conseille et contrôle le bilan et les résultats avec l’accord de la patiente.
Des personnes sont-elles décédées ?
Oui, il y a une minorité de formes chimiorésistantes de choriocarcinome. Il y a peu de décès, lorsque la prise en charge est précoce.
Qu’avez-vous fait ces dernières années ?
J’ai exercé jusqu’en 2015 au CHU de Lyon. Je n’avais pas envie de m’arrêter alors je me suis installé en libéral. Tout le monde m’a dit que comme j’étais « prof », cela allait être difficile sans toute une équipe autour de moi. Je suis un parfait caméléon et j’ai pu m’adapter au fonctionnement d’une clinique libérale. J’ai finalement arrêté en 2019.
J’ai créé un congrès annuel de vidéo chirurgie qui a lieu tous les ans en novembre à Lyon, à la cité internationale intitulé les Journées Daniel DARGENT. Ce congrès est organisé par tous les services de gynécologie du CHU de Lyon.
Nommé expert par la Cour d’Appel de Lyon depuis 1984, j’ai également une activité expertale que j’ai un peu plus développée depuis l’arrêt de mon activité clinique.
Les missions me sont confiées par les tribunaux judiciaires ou administratifs. Le nombre de plaintes judiciaires a d’ailleurs beaucoup augmenté en France.
Est-ce que cela met en danger certains médecins ?
Pas particulièrement mais cela a changé la pratique de la médecine. Les gens deviennent hyper prudents avec le risque de devenir moins novateurs. Lorsque j’ai commencé, si vous aviez une idée et qu’elle n’était pas trop farfelue, vous en parliez à votre patron qui validait souvent. Aujourd’hui pour un chef de service, si un de ses internes a une idée, il sera plus méfiant avant de le suivre et de le laisser faire. Tout est devenu très protocolisé ce qui est par contre une sécurité pour les patientes.
Quelles sont les grandes rencontres qui ont marqué votre vie professionnelle ?
Il y a bien sûr le Pr DARGENT, chez qui j’ai été interne et qui a été mon grand patron à Lyon.
Un autre chef de service m’a appris d’avantage la rigueur, le Pr Yves ROCHET qui organisait très bien son service. Cela m’a servi pour diriger mon service.
A partir du moment où je suis allé communiquer dans des congrès, j’ai fréquenté beaucoup de médecins qui étaient PU-PH et qui sont aujourd’hui restés des amis, comme le Pr Patrick MADELENAT à Paris et le Pr Bernard BLANC à Marseille et son successeur le Pr Léon BOUBLI. Pour se moquer de nous, nos pairs ont dit qu’on avait reconstitué le PLM (Paris-Lyon- Marseille) (rire). C’est un trio qui marchait très bien.
Avez-vous participé au développement de vos services ?
J’ai été amené à diriger plusieurs services aux Hospices Civils de Lyon. J’ai en même temps assuré la direction d’un service de gynécologie-obstétrique d’un centre hospitalier voisin qui avait des difficultés (CH de Vienne). J’ai essayé de travailler avec des collaborateurs et de les valoriser. Je préférais qu’un praticien hospitalier ouvre une activité libérale à l’hôpital plutôt que de le voir partir dans un établissement voisin.
Y a-t-il aussi des étudiants, par leur motivation ou intérêt, qui vous ont marqué ?
Ma femme (rire), puisque je l’ai connue durant ma carrière. J’étais un ancien chef de clinique, elle était interne… Je l’ai épousée. (Sourire)
De manière générale, j’ai bien aimé faire des cours aux étudiants et encadrer une équipe en gynécologie.
La formation passe par le compagnonnage. Il faut savoir aider un interne (d’autant plus qu’il est motivé) ou donner un conseil à un chef de clinique qui le demande. Ce compagnonnage est à double sens. Au bloc vous avez besoin de l’aide d’un interne et en retour vous devez l’aider dans sa formation au bloc en particulier même si vous devez faire preuve de patience et accepter de perdre un peu de temps.
Je pense que si on devient PU-PH, c’est parce qu’on souhaite enseigner et former.
Quels sont les progrès qui vous ont marqué dans votre activité ?
En tant que gynécologue ce sont surtout les progrès de la coelioscopie et les robots. La coelioscopie ne permet pas de voir en 3D mais donne une excellente vision. Les instruments ont beau être longs leur manipulation permet d’être très précis. On sent ce que l’on fait. Le robot apporte une vision en 3D mais vous n’avez pas de retour de force avec la manipulation des instruments.
Si vous avez fait votre carrière en coelioscopie, vous n’avez pas grand intérêt à utiliser un robot. Les urologues qui par exemple faisaient de la laparotomie presque exclusive sont passés très vite au robot. Ils travaillent généralement dans le pelvis masculin plus étroit que le féminin, avec moins d’amplitude de manipulation d’instruments.
J’ai utilisé les deux techniques. Quand le robot est arrivé, j’ai voulu essayer. Et puis au bout d’un moment je ne gagnais pas beaucoup de temps et je suis repassé à la coelioscopie.
En gynécologie, un des progrès les plus marquants concerne la PMA. Je ne peux pas bien vous en parler car ce n’était pas mon activité. Quand j’ai commencé ma spécialité, on faisait beaucoup de chirurgie tubaire. A l’époque il y avait beaucoup de salpingite, les trompes étaient obturées et la seule solution pour avoir des enfants étaient de réaliser des fimbrioplasties. Maintenant avec la fécondation in vitro, cela n’a plus beaucoup d’intérêt.
Quelles seraient les influences ou inspirations qui ont dirigé votre vie professionnelle ?
Ce sont souvent des opportunités. J’ai commencé par la gynécologie obstétrique. J’ai aimé l’obstétrique car c’est merveilleux d’aider à la naissance d’un enfant.
J’ai évolué dans ma carrière et je me suis orienté vers la chirurgie gynécologique de plus en plus lourde en fin de carrière avec une orientation carcinologique importante.
Quels ont été vos combats ?
Le côté social… J’ai travaillé à l’hôpital public et à l’université. Je me suis beaucoup intéressé aux réparations des mutilations sexuelles, en particulier aux réparations d’excisions. Souvent l’excision n’est pas complète et il est possible de retrouver des corps caverneux et un clitoris fonctionnel.
J’ai également au début de ma carrière milité pour que l’orthogénie soit réalisable dans de bonnes conditions dans tous les services où j’ai travaillé.
Quelles ont été ou sont vos ambitions ?
Aujourd’hui j’ai 76 ans mes ambitions sont limitées sur le plan professionnel. Je n’opère plus mais je vais aider de temps en temps des anciens élèves pour des opérations complexes ou rares. De temps en temps, on me demande un avis sur un dossier clinique.
Que vous reste-t-il à accomplir ?
A bien vieillir j’espère (rire) !
Je remarque, en tant qu’expert, que les plaintes médico-légales viennent souvent d’un défaut d’information ou d’un mauvais relationnel entre le médecin et le patient. Je pense que le nombre de plaintes pourrait être fortement diminué par un bon contact avec le patient et beaucoup d’empathie.
Continuez-vous à lire des publications pour rester informé ?
Oui, j’ai maintenu certains abonnements à des revues professionnelles. Je participe toujours à des congrès, ce qui m’oblige à faire régulièrement des recherches bibliographiques. Ma prochaine présentation concerne d’ailleurs la responsabilité médicale d’un interne selon qu’il est supervisé ou non. .
Auriez-vous des conseils à donner aux jeunes qui s’installent aujourd’hui ?
Pas la peine, ils ne m’écouteraient pas (rire). A partir du moment où je ne suis plus dans l’activité quotidienne, je ne suis plus en mesure de dire quelque chose. Je peux aider et conseiller ponctuellement d’anciens élèves mais je le fais avec sobriété.
Si on veut réussir dans la vie, il faut avoir de l’empathie. Il faut aimer les gens et ils vous le rendront, enfin on l’espère.
Quels ont été vos déconvenues ou rdv manqués ?
Dans les années 90, j’ai été nommé par concours pour le poste de chef de service du département de gynécologie- obstétrique de Genève. Je suis allé à Genève. La tâche qui m’attendait m’a paru très importante même si les conditions opératoires paraissaient excellentes. L’activité de recherche était également importante et devant ce qui m’attendait, j’ai renoncé. Je l’ai regretté par la suite d’autant plus que le cadre de travail à Genève et les moyens mis à disposition étaient excellents.
Propos recueillis par Madame Cindy Patinote
10 commentaires