Les activités physiques telles que le saut à la corde, le trampoline, les arts martiaux et tous les sports nécessitant des sauts peuvent entraîner une incontinence urinaire. Le rôle du plancher pelvien est majeur d’où l’importance de la rééducation et parfois d’une intervention chirurgicale.
Introduction
Considérée longtemps comme une pathologie du vieillissement ou de la femme multipare, l’incontinence urinaire (UI) est également reconnue depuis les travaux de ces dernières années, comme une pathologie de la femme jeune, sportive et même nullipare. Si de multiples études épidémiologiques concluent à l’efficacité de l’activité physique régulière sur les maladies métaboliques, cardio-vasculaires et le bien être en général, peu d’études ont analysé la prévalence de l’IU chez la femme sportive. Aussi la pathologie pelvi-périnéale est sous-estimée et reste encore peu connue des milieux sportifs.
Prévalence et incidence
La prévalence de l’IU en rapport avec le sport varie, suivant les études, entre 20 et 52% pour les activités à fort impact et cette condition a une plus grande incidence pour les athlètes et les professionnels du sport. De Mattos et coll. (1) ont étudié la prévalence de l’IU chez les athlètes féminines et retrouvé un taux variant de 5% à 56% pour les activités à faible impact pour atteindre 80% chez les trampolinistes. Des études plus anciennes (2,3) intéressant 156 sportives nullipares, montraient un taux de 28 % de fuites urinaires durant l’exercice physique. Les sports les plus concernés étant la gymnastique 67 %, le basket-ball 66 %, le tennis 50 %, le hockey 42 %, la randonnée 29 %, la natation 10 %, le volley-ball 9 %, et le golf 0 %. Dans une autre étude portant sur 291 réponses d’athlètes féminines de haut niveau issues de huit sports différents, on peut noter que c’est durant les entraînements que les athlètes étaient le plus souvent sujettes à ces troubles (95,5 % des incontinentes le sont pendant l’entraînement versus 51,2 % en compétition) et l’activité la plus à risque était le saut.
Périnée et sport : la pratique sportive peut être néfaste ?
De nombreuses questions se posent dans la physiopathologie de l’IU chez la femme sportive. Est-ce que l’IU aurait d’autres causes que l’hyperpression intra-abdominale toujours retenue dans les études ? Il est possible d’identifier plusieurs facteurs prédisposants. Certains semblent avoir une relation avec l’IU chez la femme sportive. On peut noter (4, 5, 6, 7) :
- Les facteurs génétiques avec des différences au niveau de plusieurs gênes notamment la myosine. Il existe un déterminisme génétique avec des facteurs congénitaux et raciaux, d’où une composante héréditaire certaine. Le facteur ethnique, chez les femmes rousses et blanches qui ont un tissu collagène plus fragile que les femmes brunes, noires et asiatiques.
- Les facteurs tissulaires avec altération du tissu collagène (syndromes de Marfan ou d’Ehlers- Danlos). L’hypermobilité articulaire et l’hyperlaxité ligamentaire sont associées au risque plus élevé de prolapsus.
- Les facteurs morphologiques et musculaires ont été notamment retrouvés dans l’hypotrophie de l’appareil suspensif, le défaut du développement des Levator Ani, les anomalies morphologiques du rachis et de l’orientation du bassin. Les IRM des muscles du plancher pelvien (MPP) ont pu mettre en évidence des avulsions des Levator Ani (désinsertion ou distension) surtout au niveau du faisceau puborectal. Il s’en suit un hiatus urogénital largement ouvert.
- D’autres facteurs prédisposants chez les femmes jeunes sportives peuvent être évoqués : une diminution de la disponibilité d’énergie, une condition qui interfère avec le contrôle hypothalamique du cycle menstruel, conduisant à une hypoestrogénie avec le rôle des fibroblastes ; les facteurs obstétricaux bien identifiés actuellement ; la constipation chronique et les troubles alimentaires ; les chirurgies pelviennes.
Des athlètes souffrant d’IU peuvent avoir un périnée hypertonique ou en suractivité, ce qui a pour conséquence un épuisement de la contraction par absence de relâchement. Véritable contracture, cette hypertonicité conduit à une fatigue chronique des MPP et une absence de réponse efficace au cours des augmentations rapides de la pression intraabdominale nécessaire dans les sports avec sauts.
Le caisson abdomino-périnéal aussi appelé Core dans la littérature anglo-saxonne, véritable « noyau » comprend les muscles du tronc, du bassin et le diaphragme. Cet effet caisson assure la stabilité de la colonne vertébrale et contrôle sa mobilité pendant les exercices. Chez les athlètes, le moindre déséquilibre aura des conséquences sur la statique et la continence avec des fuites urinaires surtout dans les activités avec détente rapide ou sauts.
Il reste que le mécanisme le plus souvent retenu est une paroi abdominale plus tonique, voire hypertonique, qui engendre des pressions en direction du plancher pelvien. Une classification des sports (8,9) en fonction de la pression abdominale qu’ils provoquaient a été proposée (Fig.1).
Une particularité est l’IU au cours de la course et surtout des longues distances (semi-marathons, triathlon, marathons) (10). Les récentes études ont pu mettre en évidence une hyperactivité vésicale (HAV) plus qu’une incontinence urinaire d’effort. En dehors des études, il est de constatation courante par les professionnels de santé spécialisés dans la prise en charge des femmes sportives qu’elles se plaignent de fuites abondantes, non perceptibles, qui surviennent soit pendant la course soit en fin de compétition et surtout l’absence de bons résultats après la pose de bandelettes sous-urétrales.
On peut penser que l’IU chez les athlètes féminines pourrait ne pas être qu’une conséquence d’une fatigue musculaire induite par l’exercice, mais causée par un surentraînement. Elles ont par ailleurs une tendance également à avoir des changements physiologiques (position des structures de la vessie, altération du tissu conjonctif).
Quelles solutions existent pour lutter contre l’IU ? Comment les mettre en place ?
Le traitement de l’IU de la sportive présente quelques particularités (11,12). En effet, les traitements nécessitant une prise médicamenteuse sont généralement impossibles car ces substances sont considérées comme dopantes (produits adrénergiques, inhibiteurs de la capture de sérotonine). La rééducation ne donne de bons résultats que dans l’incontinence modérée car il est impossible de tenir la contraction durant l’intégralité d’une séance de sport ou de contrebalancer par la force périnéale des à-coups de pression dépassant 100 cm H20. Les traitements chirurgicaux sont soumis à un risque de récidive du fait des pressions importantes infligées au plancher pelvien lors d’une activité sportive intensive.
L’information et conseils
Il est nécessaire de fournir une information aux patientes : les sports à risque ; le rôle du plancher pelvien et les diverses options thérapeutiques.
Donner des conseils : diminuer la prise de caféine, de thé, de tabac et d’alcool, même si pour ces deux derniers les sportives sont très peu concernées ; traiter la constipation ; uriner avant l’entraînement sans restreindre l’hydratation ; éviter de pousser vers le bas avec les abdominaux lors des séances de musculation, et privilégier les abdominaux statiques; conseiller en début de traitement des produits absorbants avec des capacités
d’absorption beaucoup plus importantes et adaptées aux flux urinaires ; recourir aux dispositifs permettant une meilleure fermeture du col de la vessie tels que les obturateurs urétraux et certains pessaires de type anneau en cas de cystocèle associée.
La rééducation
- Les exercices de Kegel (13) devraient être conseillés après chaque pratique du sport. Les deux principes majeurs du renforcement des muscles squelettiques sont l’hypertrophie et la spécificité.
La spécificité est particulièrement importante dans le cas des muscles pelviens car 30% environ des femmes ont des difficultés à effectuer une contraction correcte au cours d’une première tentative (14). - Les cônes vaginaux, présentent le gros avantage d’obliger la femme à ne contracter que les muscles du plancher pelvien et d’être en position debout. La mise en place d’un pessaire peut être une solution en cas de contre-indication ou du refus d’une intervention. Il peut également être utilisé temporairement au cours d’une activité sportive. Il en existe plusieurs types et formes (anneau, cubique…). Les obturateurs urétraux doivent être réservés aux IU légères et occasionnellement sans entraîner de gêne au cours de la pratique et surtout d’une compétition. Elle n’est pas en concurrence avec la rééducation et la chirurgie.
- Le biofeedback, méthode fondée sur une rétro information va permettre à la patiente de visualiser le travail effectué, de l’analyser, de le corriger. Très recommandée chez la sportive qui présente plus de 30% de troubles de la commande volontaire du périnée : synergie abdominale, inversion de commande15. Par ailleurs, c’est la méthode de choix pour l’apprentissage de l’automatisme périnéal qui a été décrit sous plusieurs appellations : « verrouillage périnéal avant l’effort », « anticipation périnéale de la contraction abdominale » et « The Knack » (15, 16).
- On peut proposer le MAB program, méthode dérivée du biofeedback avec télémétrie (17) qui consiste en une mesure des activités musculaires enregistrées par un système EMG et renseigne sur les possibilités de chacune du verrouillage périnéal, lors d’activités sportives. Ce système permet à la patiente d’adapter et de doser la force musculaire de son périnée en fonction du mouvement à réaliser (Fig.2).
- La stimulation électrique est conseillée dans les cas d’échec des programmes de contraction volontaire ou de faiblesse musculaire avec un testing < 3. Elle peut être réalisée avec diverses techniques et adaptée à chaque cas (18). L’électrostimulation à domicile (autorééducation) best recommandée pour entretenir le tonus périnéal et l’endurance chez les sportives ayant une activité régulière (Fig.3).
- Les gymnastiques de type yoga, Pilates, suédoise, de plus en plus recommandées associent toutes les mêmes principes : postures, respiration et périnée. Cependant, lorsque ces sportives sont gênées par une
IU, elles comprennent la nécessité de pouvoir concilier une activité avec une activation du Core (Fig.4).
La chirurgie
Nous avions déjà signalé (19) qu’il n’était pas de règle dans notre expérience de recourir à la chirurgie, a fortiori chez une nullipare. Cependant, l’IUE pure avec des pressions de clôture effondrées à 30 com H20 ou des
hypermobilités urétrales importantes ne seront jamais améliorées par la rééducation. C’est souvent le cas chez les athlètes avec sport à impact élevé. Seule une intervention devra être envisagée. Les techniques ont toutefois évolué ces toutes dernières années avec l’apparition des « mini-bandelettes » : incision unique ; facile à insérer ; bandelette ajustable et retour aux activités après seulement 2 semaines. Les résultats sont bons, avec 80% de réussite (20). Il existe toujours un risque de récidive dans les cas de patientes à risque périnéal et la rééducation post-opératoire est nécessaire pour ce type de patientes (17). Chez les sportives le risque de récidive est plus important du fait de l’intensité de la pratique sportive. Nous avons donc proposé depuis 2017, une prise en charge spécifique de patientes très sportives opérées (21).
Il s’agit d’une prévention secondaire puisqu’elle s’adresse en post-opératoire avant toute reprise d’une activité sportive : véritable coaching qui repose sur plusieurs critères (activité professionnelle dans le sport ; sport
de compétition ; type de sport ; testing du périnée).
CONCLUSION
Les bienfaits du sport ne sont plus discutés actuellement et on connaît les effets positifs sur le système cardio-vasculaire, les os et les articulations. Tous les sports ne sont pas pourvoyeurs d’incontinence chez la femme.
Si le choix d’un sport est affaire de cas individuel, il faut cependant privilégier les disciplines d’endurance sans trop d’impacts telles que la natation, la marche, le vélo, le roller et les gymnastiques intégrant périnée et le core.
La chirurgie a sa place dans la prise en charge chez la femme sportive mais répond à des critères plus sélectifs et devait être discutée au sein d’une équipe pluridisciplinaire. Dans la mesure où les athlètes qui pratiquent régulièrement des compétitions présentent dans la grande majorité des cas une IU ainsi que les professionnels du sport (coaches, instructeurs, entraineurs, ..), il serait nécessaire de les informer sur les traitements existants.
Enfin, la politique de santé actuelle vantant les mérites du sport, devrait proposer des campagnes d’information à grande échelle. Il existe des solutions adaptées à la sévérité des fuites : rééducation, auto-rééducation, traitement chirurgical et cela serait plus normal que d’assister à des publicités sur les protections qui ne sont en aucun une thérapeutique !
Alain Bourcier, Consultant en périnéologie, Centre d’Imagerie Médicale Juras, Paris
Jean Juras, Radiologue, Centre d’Imagerie Médicale Juras, Paris
François Haab, Chirurgien urologue, GH Paris Diaconesses- Croix Saint Simon
RÉFÉRENCES
1. De Mattos TR et coll : Urinary incontinence in female athletes: a systematic review. Int Urogynecol J. 2018 Mar 19
2. Nygard I: Exercise and incontinence. Obstet Gynecol 1990, 75, 848-51
3. Thyssen HH et coll: Urinary Incontinence in Elite Female Athletes and Dancers. Int Urogynecol J 2002; 13:15–17
4. Cartwright R et coll: Systematic review and metaanalysis of genetic association studies of urinary symptoms and prolapse in women. Eur Urol. 2014 Oct ;66(4):752-68.
5. Lim VF et coll: Recent studies of genetic dysfunction in pelvic organ prolapse: The role of collagen defects Australian and New Zealand Journal of Obstetrics and Gynaecology 2014; 54: 198–205
6. Pauls RN et coll: Vaginal laxity: a poorly understood quality of life problem; a survey of physician members of the IUGA. Int Urogynecol J. 2012 Oct ;23(10) :1435-48.
7. Da Roza T et coll: Urinary Incontinence in Sport Women: from Risk Factors to Treatment A Review. Current Women’s Health Reviews 2 013; 9(2):77-84
8. Bourcier AP: Final general discussion. In Bock G, Whelan J (eds) Neurobiology of incontinence John Whiley, London 1990, 151; 318-22
9. Bourcier AP et coll: Urinary incontinence in sports and fitness activities. Medicine & Science in Sports & Exercise.1994, 26(5): S14
10. Paul S: Is It Common to Have a Leaky Bladder While Running? Nov 24, Runner’s Word, 2010
11. Bourcier AP et coll: Conservative treatment of stress incontinence in sportswomen. Neurol Urodyn, 1990, 9, 232
12. Bourcier A. Incontinence During Sports and Fitness Activities. In: Pelvic Floor Re-education. Principles and Practice; Baessler K et Eds., Springer Verlag. 2008, pp 267-270
13. Kegel AH: et coll: Progressive Resistance Exercise to the Functional Restoration of the Perineal 3uscles.Am. J. Obst. & Gynec. August, 1948, 56: 238-248
14. Henderson JW et et colll: Can women correctly contract their pelvic floor muscles without formal instruction? Female Pelvic Med Reconstr Surg. 2013; 19(1):8-12
15. Bourcier AP et et coll: Biofeedback therapy. In: Pelvic Floor Disorders. Elsevier 2004, pp 297-310
16. Miller JM et et coll: Clarification and confirmation of the Knack maneuver: the effect of volitional pelvic floor muscle contraction to preempt expected stress incontinence. Int Urogynecol J Pelvic Floor Dysfunct. 2008;19(6):773 103
17. Bourcier A: Pelvic Floor Rehabilitation. In: Raz S. Female Urology Second Edition, WB Saunders Philadelphia 1996, pp 263-71
18. Ugurlucan G et coll: Comparison of home-based and outpatient clinic-based intravaginal electrical stimulation for the treatment of urinary incontinence. Minerva Ginecol. 2014 Aug ;66(4):347-53
19. Bourcier et coll: Incontinence urinaire: activités physiques, sport et plancher pelvien. Genesis 1998, N°41; 21-26
20. Dmochowski RR et coll: Female Stress Urinary Incontinence Update Panel J Urol 2010;183(5):1906
21. Bourcier A : Prise en charge de l’incontinence chez les athlètes féminines et les professionnels du sport. Congrès Sport & Périnée, Paris 27-28 Sept 2018; Abstract #11
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