L’utilisation du test HPV comme outil principal de dépistage du cancer du col permet d’augmenter la détection des lésions précancéreuses de plus 30 à 35 % par rapport au frottis, de dépister plus précocement les lésions précancéreuses et ainsi de diminuer l’incidence du cancer du col.
Un programme de dépistage national du cancer du col de l’utérus sera bientôt proposé aux Françaises. Dans quel délai pourrait-il être mis en place ?
Dire qu’un programme de dépistage sera bientôt proposé aux femmes françaises paraît très optimiste. L’INCa a fait une première proposition de mise en place d’un dépistage organisé par région basé sur le frottis. Il a indiqué qu’il fallait d’abord organiser, mettre en oeuvre et choisir l’outil – c’est-àdire le test HPV dans le dépistage primaire – mais seulement une fois que l’organisation aura fait ses preuves. Cela sous-entend reporter aux calendes grecques l’utilisation du test viral dans le dépistage primaire alors même qu’il est admis et prouvé qu’un programme organisé de dépistage du cancer du col de l’utérus est possible en utilisant le test HPV comme outil principal.
L’idée selon laquelle il faut d’abord un programme qui fonctionne, une organisation, un système bien établi et ensuite un outil adéquat équivaut à attendre 8 à 10 ans sinon plus, car l’organisation du dépistage n’est pas un processus facile à mettre en oeuvre. Les expériences d’installation du dépistage organisé du cancer du sein et du colon en région le démontrent bien, l’adhésion n’est pas celle attendue. Faire reposer le dépistage sur le frottis complexifie encore davantage cette tâche. C’est probablement la raison pour laquelle le Ministère de la Santé a demandé à la HAS de revoir la question de l’introduction du test HPV dans le dépistage organisé.
Celle-ci devait rendre son avis fin 2018, mais a fait savoir qu’il lui faudrait encore plusieurs mois pour se prononcer.
Au regard des outils existants et des preuves afférentes, est-il cohérent de faire reposer le dépistage uniquement sur le frottis et non sur le test HPV ?
La démonstration n’est plus à faire : les preuves scientifiques sont là, il s’agit d’études randomisées qui ont porté sur plus d’un demi-million de patientes à travers le monde. Elles ont apporté la preuve que l’utilisation du test HPV comme outil principal de dépistage permet d’augmenter la détection des lésions précancéreuses de plus 30 à 35 % par rapport au frottis, de détecter plus précocement les lésions précancéreuses qu’avec le frottis. En cas de test négatif, lorsque la patiente ne présente pas de portage de virus HPV, un dépistage dans un intervalle de 5 ans pourrait leur être proposé, car il n y a pratiquement pas de lésions de haut grade qui se développe dans ce délai-là. Nous avons la preuve que l’utilisation du test diminue de façon très significative l’incidence du cancer du col, car les lésions précancéreuses sont détectées et traitées beaucoup plus tôt qu’avec un frottis. Toutes ces preuves sont étayées, bien établies et robustes.
Dans un certain nombre de pays ne disposant pas de programme organisé tel que la France, les États-Unis et le Canada, la question de la mise en oeuvre se pose. Mais, un programme basé sur un outil simple, biologique, répondant positivement ou négativement est plus adapté que la cytologie qui nécessite l’intervention d’un œil humain et génère d’éventuels aléas dans la chaîne. La question de la mise en oeuvre a été traitée dans d’autres
pays comme la Hollande qui dispose d’un programme organisé où le test HPV s’est substitué au frottis, avec un dépistage basé sur ce test et le triage des HPV positifs par la cytologie. Certaines régions de l’Italie en sont aussi dotées ainsi que les pays nordiques.
Un autre aspect à prendre en compte est le volet médicoéconomique de la mise en place d’un programme de ce type. La preuve de l’intérêt coût-bénéfice de ce dispositif a été faite tant en France qu’à l’étranger. Dans la
pratique, les efforts déployés pour dépister le cancer du col de l’utérus à partir d’un frottis, ont été considérables en termes d’information, de coût. Depuis 10 ans, les courbes d’incidence sont stationnaires. Nous n’arrivons pas à faire mieux comme si nous avions atteint le maximum de ce que l’on peut attendre d’un dépistage classique. Deux problèmes persistent. Tout d’abord, un certain nombre de femmes dépistées par le frottis développent dans l’intervalle des cancers du col, car le frottis n’est pas l’outil le plus sensible et entaché des faux négatifs. Un tiers des femmes régulièrement dépistées développent un cancer invasif. Ensuite, en France, 40 % des femmes ne se font pas dépister ou ne le sont pas régulièrement. C’est une problématique qui ne peut être améliorée que par l’organisation et une incitation des femmes à y participer au travers de convocations par exemple. Les études pilotes menées dans certains départements démontrent que lorsque le dépistage est organisé, la participation augmente de 10 à 12 %. Au demeurant, l’amélioration ne se fera pas du jour au lendemain, le passage d’un système opportuniste actuel à un système organisé efficace exige un changement radical des cultures auprès des patientes et des médecins.
Pour quelle tranche d’âge, le dépistage par test HPV serait-il recommandé ?
En France, le dépistage « classique » par frottis est recommandé tous les 3 ans pour les patientes de 25 à 65 ans. Dans la pratique actuelle, les médecins ne respectent pas dans leur majorité cette recommandation, car n’ayant pas une confiance absolue dans le frottis, ils préfèrent y procéder de nouveau dans un intervalle plus réduit, de 18 mois à 2 ans.
Concernant le dépistage HPV, un démarrage à l’âge de 30 ans est admis car la prévalence de l’infection HPV est assez élevée dans la population de moins de 30 ans, avec des infections qui peuvent être seulement passagères. Un test sur cette tranche d’âge risquerait de mettre en exergue beaucoup de patientes qui n’ont pas de pathologie à risque. Toutefois, pour certains auteurs, démarrer ce dépistage dès 25 ans, peut avoir du sens car le pic d’âge des femmes présentant des lésions de haut grade se situe autour de
30 ans. Il faudrait alors procéder au test autour de 27 ans. Par conséquent, si le test HPV n’est pas utilisé pour les patientes entre 25 et 30 ans, la cytologie doit l’être. Toutefois, les études montrent que la proportion de faux négatifs est plus élevée chez les femmes jeunes que chez les patientes plus âgées.
De 30 à 65 ans, un dépistage HPV pourrait être proposé tous les 5 ans aux patientes HPV négatif (en Hollande il est réalisé tous les 10 ans), car il est démontré qu’il ne se passera rien dans l’intervalle. Pour les HPV positif, toutes n’ont pas de lésion et, sur les 15 virus à tropisme génital abusivement appelé »à risque », seuls 5 à 6 types viraux sont considérés comme responsables de 90% des lésions précancéreuses, tout dépend des génotypes.
Il existe aujourd’hui des outils d’évaluation du risque en fonction du type viral rencontré. Pour les patientes HPV positif – 10 à 12 % de la population après 30 ans – un triage est indiqué. Le test HPV permet de libérer le reste de la population HPV négatif (90%) d’un dépistage rapproché. Pour les 10 à 12 % de HPV positif, une souspopulation susceptible d’avoir des lésions sera sélectionnée pour procéder à un frottis qui, en cas de résultat positif, sera soumis à une colposcopie aux fins d’observation des lésions. En cas de frottis négatif, un contrôle viral ou cytologique interviendra, mais plus espacé 1 an après. Cette méthode permet de libérer une majorité de femmes qui ne sont pas à risque à l’instant T, un dépistage leur sera proposé 5 ans plus tard. Les efforts de dépistage seraient ainsi concentrés sur les populations à risque.
Quel est le pays d’Europe pionnier dans le déploiement d’un programme de dépistage ?
C’est incontestablement la Hollande, car elle a apporté les preuves scientifiques qu’un dépistage tous les 10 ans chez les femmes HPV négatif est extrêmement sécurisant, car le nombre de CIN3 qui pourrait apparaître dans cet intervalle est extrêmement faible voire nul.
Ainsi, il est possible d’envisager chez une femme en activité sexuelle la réalisation de 6 tests seulement au long de sa vie. En France, un nombre élevé de frottis sont faits sans aucun contrôle entraînant des coûts considérables. Il faut rationaliser cette approche.
Vous indiquiez que 10 à 12 % de femmes sont HPV positif après 30 ans. Or, les chiffres annoncés sont de 10 à 20 %. Comment expliquez-vous cette différence ?
Cela varie en fonction des tests utilisés et de la population étudiée.
Un test INNO-LiPA©, hypersensible, détectera des seuils extrêmement bas, mais qui ne correspondent pas forcément à une sensibilité clinique.
Cela dépend aussi des populations étudiées. Le chiffre de 10 à 12 % a été démontré. Notre étude française portait sur 5000 patientes dépistées, en région parisienne. Cela dépend de la population étudiée. Si vous prenez une population à risque, par exemple, qui n’a jamais fait de frottis ou des frottis trop espacés, vous trouverez un taux de HPV plus élevé. Si vous prenez une population régulièrement dépistée et prise en charge, vous trouverez un peu moins d’HPV positifs. Dans l’ensemble de la littérature, 15% est un maximum après 30 ans.
Quelle serait la proportion supplémentaire de femmes dépistées si l’on pouvait déployer le programme de dépistage du CCU sur tout le territoire ?
Deux éléments doivent être pris en compte :
- Le programme qui permet de convoquer les femmes et d’obtenir une participation plus importante
- L’outil de détection des lésions précancéreuses plus sensible.
Dans le cadre de notre système de dépistage opportuniste, sur 3000 à 3500 cas de cancer du col de l’utérus, 30 % des femmes présentent des lésions cancéreuses dans un intervalle de deux à trois ans, avec un frottis normal soit environ 1000 cas non détectés par frottis.
Si ces femmes avaient pu bénéficier d’un test HPV et d’une prise en charge correcte, nous aurions potentiellement la possibilité de prévenir 1000 cancers par an, cancers qui ont échappé à la cytologie, car basée sur le diagnostic de l’œil humain et de ce fait, soumise aux aléas. Dans la littérature scientifique, les chiffres de faux négatifs varient de 10 à 40 %. En résumé, un frottis réalisé à l’instant t, s’il est négatif ne signe pas un col normal.
Avec un test viral négatif, le risque de ne pas détecter une lésion précancéreuse, est de moins de 2 %.
Beaucoup de femmes chez qui un test HPV sera positif ne présenteront aucun problème. L’utilisation des tests cocktails donne une positivité et, sur les 15 types viraux, seuls 5 ou 6 sont associés à 90% des lésions à risque. Les autres ne sont que des infections éphémères avec anomalies mineures. Nous disposons donc d’outils pour sélectionner dans les HPV positifs les virus auxquels nous devons porter un intérêt particulier. Et quand il n’est pas possible de disposer de génotype, nous pouvons trier les HPV positifs par la cytologie et sélectionner la population à laquelle nous devrons nous intéresser.
Nous disposons d’autres méthodes dont l’évaluation est avancée. Elles permettent de fournir en plus une signature moléculaire – la méthylation, la P16, les séquençages et les oncoprotéines E6, E7 – et de sélectionner, dans les HPV positifs, celles auxquelles il faut s’intéresser, car présentant un plus grand risque. Ces outils limitent le surdiagnostic et l’inquiétude liée à la présence de l’HPV brute.
Si les Américains et d’autres pays européens sont très avancés dans ce domaine, la France n’a pas encore intégré qu’il est possible, aujourd’hui, de mesurer le risque individuel grâce à la médecine de précision adaptée à chaque patiente. Il y a dans les HPV positifs des risques différents selon les profils moléculaires. L’outil le plus utilisé est le génotypage qui a fait ses preuves, d’autres sont en cours d’évaluation.
Propos recueillis par Nathalie Bastide
Le Dr Joseph Monsonego a coordonné les essais cliniques pour les 2 vaccins (MSD et GSK) et mené des essais cliniques sur le dépistage HPV avec les ARN m et le génotypage (Geneprobe et Roche respectivement).
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