Insuffisamment prise en charge surtout par manque de recours aux soins, l’insuffisance urinaire d’effort peut être améliorée par la rééducation et /ou la chirurgie. Le point avec le Pr François Haab.
Selon vous, l’incontinence urinaire est-elle toujours un tabou en France ?
Oui. Le taux de recours aux soins ne concerne que 20 à 30% des patientes, ce qui est très peu. Cette situation peut être attribuée à plusieurs facteurs. D’abord parfois, les femmes ne sont pas suffisamment gênées pour consulter et repoussent la consultation. Elles peuvent aussi avoir honte et ne pas oser en parler. Il peut arriver aussi que certains médecins ne soient pas suffisamment à l’écoute ou insuffisamment informés des méthodes de prise en charge existantes. Ce qui peut les rendre en quelque sorte « fatalistes ». Certaines femmes voient la chirurgie comme l’unique traitement possible de cette pathologie et renoncent à consulter.
La plupart du temps et de façon erronée, l’incontinence urinaire est associée à la gériatrie et n’encourage pas les femmes à consulter. C’est toujours un tabou, j’en veux pour preuve le fait que seulement une patiente sur 20 parle d’incontinence, une sur 5 parle de fuites et les autres utilisent des périphrases comme par exemple des « problèmes de vessie ».
Enfin et c’est un problème majeur, la désinformation du grand public sur l’incontinence urinaire est indubitable. En effet les campagnes de publicité tentent et malheureusement avec succès d’assimiler l’incontinence urinaire à des pertes physiologiques telles que les règles. Il s’agit là d’une démarche de désinformation qui contribue à banaliser l’incontinence urinaire et à retarder la consultation médicale.
Existe-t-il un profil de femmes particulièrement exposées au risque d’une incontinence urinaire d’effort ?
Les facteurs de risque généraux de l’incontinence urinaire sont bien connus. Contrairement aux idées reçues, le profil type de la femme souffrant d’incontinence urinaire est une femme active de 50 ans !
La précocité ou la sévérité des signes sont corrélées à différents facteurs constitutifs ou environnementaux. La vie obstétricale et principalement le nombre d’enfants est un facteur important. En effet plus le nombre d’enfants est important et plus cela nourrit le risque d’incontinence urinaire.
Les femmes soumises à des efforts chroniques sont aussi plus exposées. Ces efforts viennent de l’activité professionnelle, de la pratique intensive d’un sport, de la constipation chronique ou encore du tabagisme. A ce titre le tabagisme chronique est impliqué au travers de deux mécanismes principaux : d’abord la toux qu’il génère mais aussi l’altération et le vieillissement prématuré du collagène qui réduit l’efficacité du périnée dans son rôle de soutien.
D’un point de vue constitutionnel, chez certaines femmes, la qualité du collagène ne permet pas un soutien efficace et les expose à une incontinence.
Par ailleurs, les signes d’incontinence urinaire peuvent survenir principalement au cours de la péri-ménopause surtout en cas de carence œstrogénique non substituée. Lorsqu’elles sont sous traitement hormonal, les femmes se sentent mieux, les hormones pouvant aider à réguler la fréquence des mictions et le caractère d’urgence de la miction.
Une incontinence urinaire d’effort peut-elle masquer une pathologie grave ?
C’est rarissime. En revanche, l’hyperactivité vésicale si elle est idiopathique dans 90% des cas, peut être le symptôme révélateur d’une pathologie sous-jacente, comme une tumeur de la vessie. De façon générale chaque fois que l’apparition des symptômes est brutale, on devra se poser la question d’un dysfonctionnement plus profond. Ainsi en interrogeant la patiente il est possible de faire la différence : si elle est capable de dater précisément l’apparition des symptômes alors il convient certainement de pousser plus loin les investigations.
Quelle est la place de la rééducation et de la kinésithérapie ?
La rééducation garde sa place en première intention car elle permet l’amélioration de la fonction de blocage du plancher pelvien.
Elle a 2 objectifs complémentaires. D’abord un objectif qualitatif qui consiste à savoir se servir de ses muscles au bon moment et un objectif quantitatif qui consiste à avoir de bons muscles.
L’idée est de conjuguer ces 2 objectifs qui ne vont pas l’un sans l’autre.
Cependant il est important de souligner 2 points capitaux.
D’abord il faut comprendre et faire comprendre que la rééducation doit être entretenue. Il ne s’agit pas de faire 15 séances de rééducation et de penser que l’on est débarrassée. En effet il convient de continuer à s’exercer pour ne plus revivre les mêmes signes incommodants. Il faut maintenir la musculation du périnée.
Chez certaines femmes, la rééducation ne donne pas de bons résultats et elles sont déçues. Dans ce cas, la chirurgie devrait être proposée en première intention et la rééducation en prévention secondaire pour éviter ou retarder la récidive. Nous avons créé avec un confrère une échelle de score permettant d’objectiver le niveau de risque de récidive. Elle comporte plusieurs items tels que les antécédents, les facteurs de risque, le nombre de grossesses et d’autres et nous permet de scorer le risque et d’opter pour la meilleure solution pour la patiente. Contrairement à certains de mes confrères, je n’interdis aucune activité aux femmes. Ma démarche est plutôt d’identifier avec elles ce qu’elles aiment faire ou ont l’habitude de faire et de mettre en place ce qui est nécessaire pour qu’elles puissent poursuivre leur activité normale. Leur dire d’arrêter c’est un peu comme si on demandait à un patient à qui on a posé une prothèse de hanche de ne plus marcher pour ne pas l’user…
Quelles sont les dernières techniques développées pour résoudre l’incontinence urinaire d’effort ?
La révolution qui a eu lieu il y a plusieurs années a été l’arrivée des bandelettes sous-urétrales. Et malgré la désinformation actuelle, les résultats sont très positifs. La tolérance est excellente et le risque de complications faible. L’efficacité est indiscutable. Il faut savoir que l’on opère en France entre 20 et 30 000 femmes par an. Beaucoup plus récemment, l’incontinence urinaire a été traitée au laser pour résoudre le syndrome génito-urinaire de la femme. Utilisés depuis longtemps en dermatologie pour lutter contre les rides, le vieillissement et les cicatrices, les lasers fractionnés (CO2 ou Erbium-YAG) visent à rétablir la trophicité des tissus locaux en termes de qualité et d’épaisseur pour retrouver leurs qualités fonctionnelles. Les études disponibles portent sur peu de patientes et la plupart sont non comparatives vs placebo mais on observe tout de même une amélioration chez 2/3 des patientes traitées. Il s’agit donc d’une arme de plus dans notre arsenal.
Le tout étant de trouver pour chaque femme la technique la plus adaptée.
Que pensez-vous de la crise des bandelettes sous-urétrales : à quoi est-elle due ? Quel est votre avis sur cette crise ?e du CCU sur tout le territoire ?
Cette polémique est absurde et s’appuie sur une erreur fondamentale : l’amalgame entre les implants vaginaux utilisés pour traiter le prolapsus et les bandelettes sous-urétrales. Et ceci en oubliant un point essentiel qui est la taille du dispositif : un implant vaginal est en moyenne 5 à 10 fois plus volumineux qu’une bandelette sous-urétrale ! Cela crée de fausses peurs contre lesquels il faut lutter.
Récemment, l’Académie de Chirurgie s’est penchée sur les données PMSI concernant la pose des bandelettes sousurétrales et leurs éventuelles complications sur les 10 dernières années. Il apparaît qu’en 10 ans environ 300 000 femmes ont été opérées, avec un taux de reprise pour complications inférieur à 1% soit environ 3000 femmes en 10 ans. Alors bien sûr c’est trop et ces 3000 femmes n’auraient pas dû vivre cette expérience et nous faisons tout pour améliorer les techniques et les suites opératoires.
Malheureusement les réseaux sociaux, s’ils ont des vertus incontestables, permettent aussi à une minorité de femmes d’exprimer leurs griefs et de faire davantage de bruit que les 297 000 femmes opérées et qui n’ont eu aucune complication.
L’incontinence urinaire d’effort est-elle toujours un sujet de santé publique pour le gouvernement ?
Elle l’a été notamment en 2007 lorsque Xavier Bertrand, alors Ministre de la Santé, m’a commandé un rapport sur l’optimisation de la prise en charge de l’incontinence urinaire. Après avoir réalisé un gros travail, j’ai trouvé un ministre très à l’écoute qui a pris conscience de l’importance de ce sujet. Mais en termes de santé publique il y a d’autres préoccupations comme vous le savez.
A mon sens, les autorités de santé ne sont pas suffisamment sévères avec les fabricants de protections qui induisent en erreur les femmes au travers de leurs campagnes publicitaires. J’ai d’ailleurs saisi le CSA pour faire apposer la mention « Demandez conseil à un professionnel de santé » au sein de leurs spots publicitaires. Le CSA a émis un avis positif et demandé l’application de cette mention. Cela a été fait mais en toute fin de spot et de façon illisible…
PR FRANÇOIS HAAB
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