Y PENSER
Y penser devant chaque patiente quels que soient son âge, son allure, son milieu social, son mode de vie ou sa réussite professionnelle.
Nul ne doit ignorer aujourd’hui que tous les 3 jours une femme meurt sous les coups de son conjoint ou de son ex conjoint.
Cette femme en face de nous la connaissons-nous déjà ? Si oui a-t-elle « quelque chose » de changé ? Une emprise psychologique peut modifier l’attitude, l’expression d’un visage, bien avant les traces visibles de la violence physique. Et que penser de cette réticence à se déshabiller devant nous aujourd’hui ?
Une nouvelle patiente ? Qu’est-ce qui l’amène ? Ecoutons bien sa demande, sa plainte et soyons attentifs à ses mots, à son comportement. En réalité, sur quoi peut reposer notre suspicion hormis des traces de coups, des blessures, ou un « langage antalgique » du corps ?
Et maintenant comment étayer nos suspicions, comment faire sortir cette femme du non-dit ? Comment lui donner la force de surmonter la honte, la peur, toute cette dévalorisation qui l’enferme dans le silence, c’est du moins ce dont son bourreau l’a persuadée, à grand renfort de violence verbale ou physique.
Comme toujours dans notre pratique, c’est l’interrogatoire qui va nous permettre d’aller plus loin dans notre relation avec cette patiente, connue ou encore inconnue. Laissonslui du temps, le temps de s’exprimer, de dire sa vérité… Ou LA vérité. Nos soupçons peuvent alors se faire jour ou déjà se confirmer. Comment l’aider à parler, à « avouer » ? Pas encore de consensus ni médical ni légal. C’est selon son expérience, sa sensibilité, son empathie que chaque gynécologue procèdera : trouver, repérer le bon moment pour se permettre de lui poser la question et lui permettre d’y répondre sans se sentir humiliée. L’amener à reconnaître son statut de victime est un premier pas capital, l’ouverture vers vérité et réalité, le sésame.
Mais il serait peu productif et même risqué d’en faire une question systématique et explicite au cours de la consultation : ici plus qu’ailleurs la grille d’interrogatoire est à bannir. Alors quel pourrait, quel devrait être notre rôle de gynécologue ?
D’abord faire entendre à notre patiente que le coupable c’est LUI. Il est urgent, vital – le mot n’est hélas pas trop fort – de l’arracher à sa dangereuse emprise aussi destructrice que les coups. Même si elle trouve souvent des circonstances atténuantes à son bourreau, parfois devant les enfants terrorisés.
Comment lui faire accepter cette réalité : la victime c’est ELLE. Car la conséquence logique apparaît alors : elle doit se protéger avec notre soutien : recours à la loi, sans se contenter d’une banale « main courante », et/ou fuite et refuge grâce au numéro de téléphone dédié.
Secret médical versus non-assistance à personne en danger ? Espérons que la justice nous permettra bientôt de protéger la vie et la dignité de nos patientes. N’est-ce pas là ce que les serments d’Hippocrate et de Maïmonide nous ont enseigné ?
Michèle LACHOWSKY,
Gynécologue
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