Atopobium vaginae, a été identifiée fréquemment dans le vagin de femmes ayant un tableau clinique classique de vaginose bactérienne : leucorrhées malodorantes, élévation du pH vaginal, présence de clue-cells. Compte tenu de la résistance de cette bactérie aux dérivés nitro-imidazolés, le chlorure de dequalinium par voie vaginale apparaît comme une alternative crédible dans le traitement de la vaginose bactérienne.
Avec les techniques de séquençage du génome microbien, la microbiologie a franchi un pas aussi important que l’invention du microscope au XVIIème siècle. Le premier microbiote à avoir bénéficié de ces innovations a été le microbiote intestinal. Avec quelques années de retard une « cartographie » du microbiote vaginal a été entreprise. Les résultats ont considérablement modifié notre vision de ce que l’on a longtemps appelé la flore vaginale.
La bactériologie classique basée sur l’observation des sécrétions vaginales à l’examen direct à l’état frais ou après coloration et sur les cultures microbiennes nous avait permis de définir une frontière entre microbiote normal et microbiote pathologique en s’appuyant, par exemple, sur le score de Nugent.
Si, grâce au renfort des techniques d’amplification génique, le dépistage des infections « exogènes » (IST par exemple) est actuellement très fi able, la majorité des micro-organismes composant le microbiote vaginal n’étant pas cultivable, il apparaît que la culture des sécrétions vaginales ne permet pas toujours de caractériser un déséquilibre du microbiote (dysbiose). C’est le cas pour le prototype de la dysbiose vaginale qu’est la vaginose bactérienne.
Vaginose bactérienne : Gardnerell vaginalis oui, mais….*
Longtemps assimilée à une infection à Gardnerella vaginalis (Gv), la vaginose bactérienne n’est pas à proprement parler une infection mais la traduction clinique d’une dysbiose vaginaleavec un polymorphisme microbien à dominance anaérobie. Le problème est que la traduction clinique manque parfois et qu’un certain nombre de vaginoses bactériennes caractéristiques sur le plan bactériologique, selon les critères actuels, sont asymptomatiques. Sur quels critères doit-on donc entreprendre un traitement ?
En effet, Gv est retrouvé dans les sécrétions vaginales de femmes « saines », ce qui indique que la colonisation par Gv ne conduit pas nécessairement à une VB. Une des hypothèses expliquant cette situation est que toutes les souches de Gv n’ont pas le même pouvoir pathogène. Une autre hypothèse -pas nécessairement contradictoire avec la précédente – est que d’autres bactéries que Gv pourraient initier la dysbiose. C’est le cas de Prevotella bivia mais surtout d’Atopobium vaginae.
Atopobium vaginae
Décrite pour la première fois en 19991, cette bactérie, non cultivable en routine, a été identifiée fréquemment dans le vagin de femmes atteintes de VB (de 50 à 96 % selon les études), mais aussi, beaucoup plus rarement (de 8 à 25 %) 2 dans des microbiotes vaginaux normaux. Atopobium vaginae (Av) est associé de manière significative à des leucorrhées malodorantes, à une élévation du pH vaginal et à la présence de clue-cells, c’est à- dire au tableau clinique classique de la VB. Des concentrations importantes d’Av (souvent en association avec Gv) ont été corrélées à avortements tardifs et prématurité.
Une des propriétés pathogéniques d’Av est sa capacité à former des biofilms, caractéristique majeure de la VB. Son association avec Gv au sein de ces biofilms est quasi constante (99,5 % selon une étude belge)4. Dans cette étude, l’association des 2 bactéries dans le biofilm conférait un risque le plus important d’avoir un score de Nugent élevé, témoignant d’une synergie d’action entre ces 2 micro-organismes.
Pour certains auteurs, la présence d’Av serait même plus spécifique de la VB que Gv (77 % pour Av vs 35 % pour Gv selon Bradshaw)
Quel traitement ?
La présence d’Av peut avoir un impact important sur le choix du traitement de la VB. En effet, il existe une grande variabilité de sensibilité au métronidazole en fonction des souches d’Av (plus de 50 % de souches résistantes), certaines études parlant même de résistance à tous les nitro-imidazolés2-6 (métronidazole et secnidazole). Cette sensibilité réduite aux traitements classiques pourrait expliquer que la majorité des récurrences de VB sont associées à la présence d’Av. Av est sensible à la clindamycine mais ce traitement n’est pas disponible en France sous sa forme locale largement utilisée outre-Atlantique dans le traitement de la VB.
Une solution alternative à l’antibiothérapie classique par antibiotiques nitro-imidazolés existe : le chlorure de dequalinium. Cet antiseptique a démontré une activité anti-microbienne in vitro sur des bactéries anaérobies (dont Gv), des bactéries aérobies (staphylocoques, streptocoques…) et des levures (Candida y compris non-albicans). Une étude clinique a montré la non-infériorité du chlorure de dequalinium (CdD) vs clindamycine crème vaginale dans le traitement de la VB7. Une étude in vitro a montré que la majorité des souches d’Av étaient sensibles au CdD (sensibilité équivalente à la clindamycine). Le CdD montre une excellente activité sur la croissance des bactéries Av mais exerce également une action bactéricide avec destruction des bactéries grâce à une double action : augmentation de la perméabilité membranaire des bactéries et perturbation de leur activité enzymatique.
Ainsi, le CdD offre une alternative thérapeutique intéressante par un spectre d’action plus large que les antibiotiques nitro-imidazolés9. Le traitement par voie vaginale (comprimés vaginaux dosés à 10 mg de CdD) n’entraîne qu’un très faible passage systémique avec donc un risque minime d’effets secondaires. De plus, les études chez l’animal n’ayant montré aucune foeto-toxicité, le CdD n’est pas contre-indiqué chez la femme enceinte.
Et les biofilms ?
La persistance des biofilms de bactéries associées à la VB (dont Gv et Av) est une cause majeure des récidives de la VB malgré les traitements antibiotiques. En effet, il est démontré que ces biofilms persistent après traitement par métronidazole per os11. Utilisé localement, le métronidazole n’est guère plus efficace surtout en cas d’association d’Av à Gv dans le biofilm. Certaines souches de lactobacilles ont montré in vitro qu’ils pouvaient détruire les biofilms bactériens. Quelques études cliniques ont confirmé l’action préventive des cures de probiotiques sur les récidives de VB13-14. Une étude non encore publiée montre que le CdD aurait une action efficace in vitro sur les biofilms.
Au total, les techniques récentes d’investigations microbiologiques nous permettent de mieux comprendre les mécanismes de déclenchement et de persistance de la VB. Le rôle majeur d’Atopobium vaginae dans la dysbiose vaginale peut remettre en question notre approche thérapeutique étant donné la résistance de cette bactérie aux dérivés nitro-imidazolés. Le chlorure de dequalinium par voie vaginale apparaît comme une alternative crédible dans le traitement de la VB. Des études supplémentaires sont nécessaires pour apprécier l’efficacité à long terme de cet antiseptique, en particulier sur la prévention des récidives, peut être en association avec des cures de probiotiques.
Jean-Marc Bohbot, Institut Fournier Paris
Agathe Goubard, Institut Fournier Paris
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts pour cet article
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