Chef du service de Chirurgie Cancérologique Gynécologique et du Sein à l’Hôpital Européen Georges Pompidou, le Pr Fabrice Lecuru dresse le bilan, dans sa spécialité, des bénéfices médicaux de la chirurgie robotique en France et esquisse les principales évolutions technologiques attendues, pour le plus grand bénéfice des patientes.
Quels ont été pour vous les progrès marquants de la chirurgie gynécologique durant les décennies récentes ?
La chirurgie, en cancérologie gynécologique en particulier, a connu trois avancées majeures. Il nous est possible maintenant d’obtenir les mêmes résultats avec une agressivité chirurgicale diminuée. C’est le cas
par exemple de la coelioscopie, de la chirurgie robot-assistée, de la chirurgie vaginale, ou de la combinaison de l’une ou l’autre de ces techniques. A l’inverse, alors qu’il y a 20 ans, nous faisions pour certaines pathologies (le cancer de l’ovaire est l’exemple type) des gestes relativement limités,
désormais, nous pratiquons des gestes plus agressifs afin d’être plus efficaces. Nous ne devons pas hésiter à faire des chirurgies étendues, y compris des résections digestives ou viscérales, si le bénéfice pour la patiente est à la hauteur de l’effort chirurgical. La troisième avancée, enfin, est la personnalisation des interventions. Aujourd’hui, nous faisons de plus en plus d’actes de chirurgie adaptés aux caractéristiques de la patiente et de la maladie.
Votre service utilise un robot Da Vinci depuis 2008, le 8e installé en France. Combien réalisez-vous d’interventions chaque année ?
La chirurgie robotique s’intègre à l’évolution générale que je viens de décrire. Nous réalisons dans mon service, depuis 2 ans, une soixantaine d’interventions par robot chaque année, sur un total de 900 interventions en hospitalisation complète. Nous ne pouvons pas faire plus pour le moment, car le robot est partagé entre beaucoup de disciplines dans différents services de l’hôpital. Même s’il n’est pas question de tout faire avec le robot, nous pourrions aller à 15-20 % d’interventions en chirurgie
robotique dans les deux ans qui viennent. Ce serait le ratio optimal.
Quelles sont les principales indications de la chirurgie robotique en gynécologie ?
Rappelons que la chirurgie robotique est le prolongement de la coelioscopie, qui nous permet de gagner en précision et en qualité du geste et de la vision. Le robot a trois indications principales dans la cancérologie gynécologique. D’une part, l’amélioration notable des résultats en post-opératoire, avec
une réduction du taux d’échec ou de morbidité par rapport aux opérations qui étaient précédemment faites par coelioscopie. Les exemples les plus marquants concernent les petits cancers du col et les cancers de l’endomètre. Ces interventions ne sont pas très compliquées en soi, mais se font
souvent chez des patientes à risque de complications augmenté. Le robot transforme totalement la faisabilité et la sécurité du geste notamment chez les personnes obèses.
D’autre part, le remplacement de la laparotomie, avec de grandes incisions, par la chirurgie mini-invasive grâce au robot, pour des interventions théoriquement faisables par coelioscopie, mais dans les faits très peu pratiquées ainsi. Cela concerne principalement les interventions pour le cancer de l’ovaire débutant ou pour le cancer de l’endomètre à haut risque, qui nécessitent à la fois une hystérectomie, des curages étendus au niveau pelvien et abdominal….
Dernière grande indication, les pelvectomies, qui sont des interventions agressives et lourdes notamment en cas de récidive de cancer du col. Ces interventions qui nécessitaient des laparotomies peuvent aujourd’hui être faites par le robot avec une collaboration multidisciplinaire. Cela reste une intervention agressive, les complications post-opératoires persistent même avec la suppression de la laparotomie, mais le risque est diminué.
Y a-t-il des études en cours pour mesurer les avantages pour les patientes de la chirurgie robotique en termes de réduction des complications ?
La littérature est abondante sur le sujet. Et les études sont toutes concordantes. Un essai thérapeutique a de plus été réalisé en France, piloté à Lille et à Marseille, auquel l’Hôpital européen Georges Pompidou a participé. Il s’est terminé en 2015 et ses premiers résultats devraient être publiés dans deux ans. L’essai a intégré 300 patientes environ. Les principaux résultats sont la réduction des complications et des interventions plus simples à réaliser. Les Américains réalisent également une telle étude, encore en cours. Enfin, nous surveillons de notre côté la réduction des complications…
Et les bénéfices esthétiques ?
Ce n’est pas une problématique nouvelle. La coelioscopie classique, grâce à des petites incisions peu nombreuses, apporte déjà ce bénéfice que l’on retrouve avec les robots. L’esthétique est bien sûr importante pour les patientes. Mais ce n’est pas notre argument principal. Le fondement de la chirurgie robotique est le bénéfice médical : une chirurgie mini-invasive moins morbide, à moyen et long termes, que la laparotomie, et l’amélioration des résultats de la coelioscopie.
Beaucoup de chirurgiens gynécologues estiment que la chirurgie robotique est superflue,
coûteuse et sans avenir en gynécologie. Qu’en pensez vous ?
On a entendu la même chose au début de la coelioscopie. Ces chirurgiens se basent peut-être sur d’autres disciplines qui ont poussé les indications pour rentabiliser les robots. Rien de tel ici : le robot est utilisé par beaucoup de disciplines, chaque équipe ayant listé un petit nombre d’indications bien ciblées ayant un bénéfice important pour les patients.
Jusqu’où peut aller la chirurgie robotique en terme de réduction des gestes invasifs ?
C’est là que réside l’avenir. La technologie doit encore évoluer. Elle a déjà commencé, nous pouvons ainsi utiliser la fluorescence par exemple. Au-delà, toutes les techniques de reconnaissance d’images qui permettront d’identifier les tissus et les structures anatomiques via la réalité augmentée (fusion des images de la caméra et des imageries des IRM ou scanners…) nous aideront à opérer de manière plus précise, plus fiable, et de manière encore moins agressive. Les perspectives de développement portent également sur l’utilisation de robots plus petits. Il y a enfin la simulation des gestes chirurgicaux pour la formation des praticiens. Nous pouvons mesurer avec des critères objectifs la courbe de progression d’un interne qui apprend à utiliser un robot, faire des tests de plus en plus compliqués de maniement, de dextérité…, voire simuler des interventions. Grâce au système de double console, nous pouvons aider un chirurgien en formation comme on le faisait par coelioscopie ou par laparotomie, mais avec l’avantage supplémentaire que la formation en chirurgie robotique est très codifiée.
Combien d’établissements hospitaliers utilisent un robot actuellement ? Quel est l’avenir de la chirurgie robotique compte tenu de son coût* et des contraintes budgétaires des établissements hospitaliers ?
Une cinquantaine d’établissements en France utilisent cette technique en gynécologie. Certains commencent même à disposer de deux robots. Aujourd’hui, même s’il reste une place pour la chirurgie
conventionnelle, faire de la cancérologie gynécologique sans robot devient de plus en plus difficile si on veut rester performant. C’est le cas également pour d’autres disciplines. Mais il y a des arbitrages à faire, entre l’achat d’un robot et d’une IRM par exemple. Sachant que si l’investissement de départ est important, le coût d’utilisation des robots lié aux consommables n’est pas très différent du coût de la coelioscopie classique. Et si cela permet de supprimer des laparotomies ou de réduire les complications post-opératoires, c’est la société qui est gagnante au final.
Le professeur Lecuru déclare ne pas avoir de lien d’intérêt pour cet article.
Propos recueillis par Dominique Magnien
*Coût estimé à 2 millions d’euros à l’achat, 200000euros de maintenance par an et 1000euros de consommables par intervention chirurgicale (source: Pr Philippe Descamps, «Docteur, j’ai encore une question… Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur la gynécologie sans jamais oser le demander !», Larousse, février 2016).
BIOGRAPHIE
➔ Formation initiale de gynécologie obstétrique.
➔ Chirurgien gynécologique. Professeur des Universités à l’Université Paris Descartes.
➔ Chef du Service de Chirurgie Cancérologique Gynécologique et du Sein à l’Hôpital Européen Georges Pompidou (HEGP), Paris.
➔ Président du Groupe Francophone de Chirurgie Robotique en Gynécologie (CRG).
➔ Membre de l’American Society of Clinical Oncology, de la Society of Gynecologic Oncology, de l’European Society of Gynecologic Oncology, de l’International Gynecologic Cancer Society, du Conseil
d’Administration de la Société Française d’Oncologie Gynécologique, et du Conseil d’Administration
de la Société de Chirurgie Gynécologique et Pelvienne.
Article paru dans le Genesis N°189 (avril/mai 2016)
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