Comment votre exercice a-t-il évolué au cours des 10 dernières années ?
Trois tendances lourdes :
• La surspécialisation : alors que nous étions relativement polyvalents en début de carrière, il est devenu impossible d’être en pointe à la fois en chirurgie gynécologique, oncologie, obstétrique, médecine fœtale, assistance médicale à la procréation, planning familial.
• La féminisation massive, comme dans l’enseignement et la justice. Elle est la bienvenue, mais traduit un certain désintérêt des hommes qui se dirigent vers des domaines considérés comme plus valorisants : finance, industrie, nouvelles technologies. Sa limitation au sommet de la hiérarchie hospitalo-universitaire rend d’autant plus méritantes les collègues féminines y étant parvenues.
• Les tensions budgétaires croissantes : les Hôpitaux sont en déficit croissant pour faire apparaître une réduction de ceux des comptes publics. Leurs dotations, alignées de principe sur la norme minimale, ne laissent plus aucune marge de manœuvre : tout arrêt de travail est devenu un problème pour une équipe entière.
Quelles sont selon vous les orientations futures de la gynécologie obstétrique ?
• La poursuite des restructurations publiques et privées, regroupant les capacités en un nombre limité d’établissements, supposés dotés des moyens techniques et humains nécessaires.
• Une incertitude en ce qui concerne la médecine libérale, de plus en plus asservie aux systèmes sociaux et fragilisée par des coûts d’investissements et de fonctionnement lourds.
• La pression croissante du médico-légal incitant à une médecine défensive, plus consommatrice et peu innovante.
Quelle a été votre meilleure expérience professionnelle ?
• Avoir exercé un métier qui n’existait pas lors de nos études médicales et participé dans un contexte pionnier à son évolution, de la microchirurgie tubaire jusqu’aux étapes successives de l’AMP.
• Après des années de galères, passant par la fermeture temporaire du centre d’AMP et du Planning familial de l’Hôpital Tenon, avoir apporté ma pierre à leur renaissance : rénovation complète des locaux, constitution d’équipes médicales et paramédicales adaptées, obtention des matériels les plus récents aux normes.
Quelle a été votre principale déception ?
Alors que la France faisait partie des pays leaders en Médecine de la Reproduction à ses débuts, les limitations réglementaires et budgétaires ont abouti à son décrochage complet au niveau international. Ne jouant plus dans la même cour que les équipes des pays voisins, nous sommes contraints de laisser partir vers elles de nombreuses patientes pour don d’ovocytes tardif, screening génétique embryonnaire ou préservation sociétale de la fertilité. Toutes ces prises en charge devraient être assurées par nos centres.
Quels sont vos espoirs ?
• Que les députés français prennent la mesure de cette situation et entendent les nombreux avis exprimés dans ce sens, notamment par le Comité Consultatif National d’Ethique qui s’est avéré finalement favorable à des évolutions importantes.
• L’avenir reste ouvert. Par des enseignements complémentaires conduisant à des diplômes de surspécialisation, nous avons formé de nombreux jeunes médecins qualifiés, prêts à relever les défis qui les attendent : biotechnologies, génétique prédictive et interventionnelle, intelligence artificielle, big data… puisse la France leur permettre d’y participer à part entière et ne pas les laisser en position de spectateurs.
Jean-Marie ANTOINE
PU-PH, Service de Gynécologie Obstétrique et Médecine de la Reproduction.
Hôpital Tenon, Paris
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