Les modifications du microbiote vaginal jouent un rôle dans la persistance des HPV à haut risque oncogène et dans la sévérité des lésions cervicales : au premier rang la vaginose bactérienne. A côté du traitement antibiotique, les probiotiques permettent de prévenir les récidives.
L’infection féminine par l’un des virus HPV à tropisme génital et à haut risque oncogène (HPVhr) est l’une des plus fréquente puisqu’environ 80 % des femmes sont atteintes avant l’âge de 50 ans 1 avec un pic vers l’âge de 20 ans. Il s’agit d’une infection transitoire car la clairance virale atteint 90 % en 6 à 18 mois 2 sous l’influence de facteurs immunitaires et génétiques. Une étude 3 a montré que les HPV16 (majoritairement impliqués dans les cancers cervicaux) présentaient de multiples variantes géniques et mutations. Or les souches HPV16 avec une oncoprotéine E7 stable (sans variantes) sont plus fréquemment en cause dans les lésions précancéreuses ou cancéreuses que chez les sujets-contrôles. Cette stabilité dans la composition en amino-acides de la protéine E7 diminuerait l’action de la protéine onco-répressive Rb et favoriserait donc l’apparition de lésions cervicales.
Cependant, il persiste quelques ambiguïtés sur la définition même d’infection par les HPVhr et sur la validité du dépistage viral.
D’une part, la détection du génome viral quelques heures ou jours après un rapport contaminant peut simplement être le reflet d’un portage transitoire, sans qu’il y ait réellement infection. Mais en cas de contact récent avec un partenaire porteur d’HPVhr, le virus peut « s’installer », répliquer et produire des virions. On parle alors d’infection aiguë. Mais, même dans cette éventualité, une clairance est toujours possible. Enfin, l’infection peut devenir chronique, avec toujours une éventualité de clairance variable selon les génotypes viraux. Il est important de noter qu’au cours de ces infections chroniques, la détection virale peut s’avérer faussement négative avec une réapparition du génome viral lors d’examens ultérieurs. Complication supplémentaire, une réinfection, y compris par le même type viral après clairance réelle de la première contamination est possible 4.
En dehors des caractéristiques génomiques expliquant la persistance ou la clairance virale, des cofacteurs favorisant la persistance et/ou la progression des lésions cervicales ont été évoqués : le tabac 5, infections virales associées (Epstein-Barr, HSV2, VIH) 6-7, infection à Chlamydia trachomatis 8…
MICROBIOTE VAGINAL ET PERSISTANCE DU HPV
Récemment, des modifications du microbiote vaginal ont été évoquées comme possibles cofacteurs de persistance et de progression de l’infection par HPVhr.
Rappelons que le microbiote vaginal de la femme adulte non ménopausée a été classé par Ravel et al 9 en 2011 en 5 classes en fonction du type de lactobacilles dominant :
- CLASSE 1 : microbiote dominé par Lactobacillus crispatus : flore normale
- CLASSE 2 : microbiote dominé par Lactobacillus gasseri : flore normale
- CLASSE 3 : microbiote dominé par Lactobacillus iners : début de dysbiose vaginale
- CLASSE 4 : microbiote sans lactobacilles mais Gardnerella vaginalis + : vaginose bactérienne
- CLASSE 5 : microbiote dominé par Lactobacillus jensenii : flore normale
Les classes 1 et 2 sont les plus fréquentes chez les femmes saines (respectivement 48 % et 23,5 % dans une étude de Verhelst et al 10).
Un microbiote vaginal de femme saine se définit par une faible diversité microbienne et la domination d’une espèce de lactobacilles (plus rarement quelques espèces associées).
Plusieurs études ont montré un lien entre dysbiose vaginale et infection HPV.
En 2013, Lee et al 11 retrouvait une plus grande diversité microbienne et une diminution du nombre de lactobacilles chez 19 femmes HPV + comparées à 26 femmes HPV.
En 2015, Brotman et al 12 ont suivi 32 femmes non ménopausées pendant 16 semaines avec un auto-prélèvement vaginal bi-hebdomadaire. Sur un total de 930 échantillons, l’étude a montré la présence de HPVhr dans les classes de microbiote 3 et 4 (respectivement 71 et 72 %) par rapport aux classes 1 et 2 (respectivement 45 et 12 %). Dans cette même étude une clairance des HPVhr a été observée plus rapidement chez les patientes classe 2 (dominée par Lactobacillus gasseri).
Récemment Kero et al 13 ont suivi 329 femmes asymptomatiques pendant 72 mois avec une évaluation microbiologique vaginale à l’inclusion puis à 1, 2, 3 et 6 ans. 76,6 % des femmes ont été testées au moins une fois positive pour HPVhr. Plusieurs autres états pathologiques ont été détectés : vaginose bactérienne (asymptomatique) chez 12,2 % des femmes, flore mixte (début de dysbiose) chez 57,4 % des femmes et candidose chez 22,9 % des femmes. La vaginose bactérienne était associée de manière significative (p=0.024) à la persistance des HPVhr. Les auteurs concluent que le dépistage et le traitement de la vaginose bactérienne même asymptomatique sont utiles chez les femmes HPVhr+.
MICROBIOTE VAGINAL ET LÉSIONS CERVICALES
D’autres travaux ont recherché la relation entre microbiote vaginal et sévérité des lésions cervicales HPVhr+.
Mitra et al 14 ont étudié 169 femmes (20 contrôles, 52 lésions cervicales intra-épithéliales de bas grade, 92 lésions cervicales de haut grade et 5 cancers invasifs). La sévérité des lésions était associée à une plus grande diversité du microbiote vaginal et une diminution du nombre de lactobacilles. Comparées aux femmes-contrôles, les femmes CIN bas grade, CIN haut grade et cancer invasif étaient respectivement 2, 3 et 4 fois plus fréquemment porteuses d’un microbiote de classe 4 (vaginose).
De Castro-Sobrinho et al 15 ont observé 211 pièces anatomiques cervicales post-excision de la zone de transformation. L’existence d’une vaginose bactérienne était objectivée par la présence de clue-cells. Après contrôle des facteurs confondants, la VB est associée à une plus grande sévérité des lésions cervicales (OR=3,90).
RÔLE DES PROBIOTIQUES
Le microbiote vaginal semble donc jouer un rôle important à la fois dans les phénomènes de clairance/persistance des HPVhr et dans la sévérité des lésions cervicales. La première conclusion est donc que le dépistage d’une dysbiose vaginale serait un élément indicateur de l’évolution ultérieure de l’infection.
La seconde étape est la prise en charge thérapeutique de la dysbiose vaginale, fût-elle asymptomatique. L’antibiothérapie classique (métronidazole ou secnidazole per os) donne des résultats positifs à court terme (70 à 80 % de guérison immédiate) mais 33 % de récidives à 3 mois et 66 % à 1 an 16. Les probiotiques apportent une solution préventive des récidives maintenant largement documentée par des études cliniques. Le choix des bonnes souches de lactobacilles est capital.
Lactobacillus gasseri est associé à une clairance plus rapide des HPVhr. Le mécanisme d’action le plus probable est l’acidification du milieu vaginal. Une étude a montré un risque de détection de HPV inférieur de 10 à 20 % chez les femmes avec un pH vaginal < 5,0 par rapport à un pH > 5,0 17. Mais l’efficacité préventive de cette acidification tient aussi à la structure isomérique de l’acide lactique : seul l’acide lactique isomère D produit par les L. gasseri et crispatus aurait cet effet protecteur, tandis que l’acide lactique isomère L produit, entre autres, par L. iners favoriserait l’inflammation cervicale 18 et faciliterait la pénétration du HPV dans les kératinocytes.
Par ailleurs, L. gasseri et L. crispatus ont montré in vitro 19 une action inhibitrice sur la croissance de cellules cervicales cancéreuses via la régulation de l’expression des oncogènes HPV E6 et E7. Très peu d’études cliniques existent sur l’éventuel rôle préventif des probiotiques au cours de l’infection par HPV.
Une étude pilote menée en 2013 20 a montré une disparition plus fréquente des lésions cervicales de bas grade HPV+ dans un groupe de femmes traitées par une prise orale d’une boisson contenant des probiotiques : 2 fois moins de lésions détectables à 6 mois par rapport à un groupe de femmes non traitées. En revanche, aucune différence n’a été notée en termes de clairance du virus lui-même. Il est évident que des études cliniques utilisant des souches comme L gasseri et L crispatus sont souhaitables pour pouvoir inscrire les probiotiques dans l’arsenal de prise en charge de nos patientes
porteuse d’HPVhr.
Néanmoins, au regard des études épidémiologiques citées plus haut, il paraît licite de détecter la dysbiose vaginale, même en l’absence de symptômes chez toutes les femmes HPVhr+. La prescription de probiotiques locaux contenant l’une des souches gasseri ou crisaptus se justifie alors pleinement. Reste à déterminer la posologie et la durée du traitement : une à deux semaines par mois pendant 3 à 6 mois est une proposition.
RÉFÉRENCES
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