La surveillance du sein traité a pour objectif de faire le plus rapidement possible le diagnostic d’une récidive loco régionale potentiellement curable. Elle repose essentiellement sur l’examen clinique et la mammographie.
La surveillance du cancer du sein traité est le motif de consultation le plus fréquent en oncologie. En effet, plus de 50 000 femmes sont atteintes tous les ans. La surveillance doit être prolongée à cause des récidives tardives. Malheureusement, ce sujet ne passionne personne et c’est un peu le parent pauvre de l’oncologie.
Quelques données chiffrées préliminaires
Environ 30 % des cancers du sein, stades I et II, sont amenés à récidiver. 80 % des récidives surviennent dans les 5 premières années. Des récidives tardives, même 20 ans après, peuvent survenir. 80 % des récidives métastatiques sont symptomatiques et découvertes simplement par l’interrogatoire et l’examen clinique.
Objectifs de la surveillance
Les objectifs de la surveillance des cancers du sein se justifient
par leur évolution potentielle :
– 50 % des patientes récidiveront dans les 10 ans, les ¾ du temps sous forme métastatique et dans le quart restant sous forme d’une récidive loco régionale (3)
– la majorité de ces récidives survient dans les 5 ans (dans 80 % des cas) mais la rechute à long terme est possible, même après 10 ans (Figure 1).
Figure 1 : La majorité des récidives survient dans les cinq ans, mais la rechute à long terme est possible, même après dix ans.
Les patientes revendiquent une surveillance intensive en espérant un diagnostic anticipé, qui serait donc de meilleur pronostic. Il paraît de plus nécessaire d’évaluer les possibles effets secondaires des différents traitements (1).
Les médecins doivent prendre en compte :
– les bénéfices réellement obtenus par cette surveillance
– la qualité de vie des patientes (QOL : Quality Of Life)
– son coût pour la société
– ses implications psychologiques
– les résultats à long terme pour l’évaluation de l’efficacité thérapeutique
La surveillance est basée sur :
– le dépistage :
• dépistage précoce de la récidive locale ou locorégionale
• dépistage précoce d’un cancer controlatéral
• dépistage d’une récidive métastatique
– l’évaluation des résultats : qualité de vie, pronostic fonctionnel et esthétique
– la réinsertion :
• traitements des complications iatrogènes et des séquelles liées aux différents traitements, qu’ils soient chirurgicaux, radiothérapiques, chimiothérapiques, hormonaux ou autres
• réinsertion socio-professionnelle et psychologique (2)
Fin des traitements
L’arrêt des traitements est ressenti de façon variable :
– certaines se sentent soulagées, avec une impression de guérison
– d’autres ont un sentiment d’abandon avec une peur de la rechute
Il faut rassurer et aider à la réintégration familiale et socio-professionnelle.
Quel équilibre trouver entre l’absence totale de surveillance demandée par certaines qui se considèrent comme guéries et une surmédicalisation par d’autres qui vivent dans l’angoisse de la récidive ? (Tableau 1)
Tableau 1 : Facteurs prédictifs de récidive locale
La surveillance a-t-elle un intérêt démontré?
De nombreuses études rétrospectives ont été publiées à ce sujet. Les 2 essais italiens publiés dans le même numéro du JAMA en 1994, sont convergents et n’ont pas été contredits depuis leur parution (5 et 6).
L’étude du GIVIO (6) portait sur 1320 patientes traitées pour un cancer du sein non métastatique. Les patientes lance standard et l’autre surveillance intensive, la différence entre les 2 étant que dans le groupe suivi intensif, un bilan biologique (hépatique), une radiographie pulmonaire, une scintigraphie osseuse et une échographie abdominale étaient effectués tous les 6 mois en plus de l’examen clinique standard proposé aux 2 groupes. Cette surveillance a duré 5 ans.
Une évaluation de la qualité de vie était faite à 6 mois, un, deux et 5 ans.
Les résultats montrent l’absence de différence significative entre les 2 groupes en terme de survie sans récidive, de même que la survie globale. La surveillance intensive n’a permis d’anticiper que d’un mois le diagnostic de la rechute. Quant à la qualité de vie, elle était identique dans les deux groupes.
L’étude de DELTURCO (5) portait, elle, sur 1243 patientes. La randomisation proposée était sensiblement identique à l’étude précédente.
La survie sans récidive s’est avérée être moins bonne dans le groupe suivi intensif du fait d’une détection plus précoce des récidives, mais la survie globale reste identique.
Il semble donc que le rôle essentiel du suivi sera de détecter les atteintes dites curables, telles que les récidives loco régionales et les cancers du sein controlatéraux, alors que la détection des métastases a un intérêt limité, compte tenu de leur mauvais pronostic (conférence de consensus italienne ANON 1995), en sachant que l’arrivée de nouvelles molécules pourrait permettre un gain significatif dans l’allongement de la durée de la survie.
L’ASCO (American Society of Clinical Oncology) (8) recommande depuis 1999 de surveiller les patientes en insistant sur l’interrogatoire et l’examen clinique, avec une visite tous les 4 mois pendant 3 ans, puis tous les 6 mois pendant 2 ans puis une fois par an.
Y seront associées une mammographie et une échographie mammaire une fois par an. Les autres examens ne seront pas proposés à titre systématique (radiographie de thorax, marqueurs, échographie abdomino pelvienne, scintigraphie osseuse…) (7).
En France, les Standards Options et Recommandations (SOR) de la fédération nationale des centres de lutte contre le cancer (FNCLCC) rappellent et confirment intégralement ces données.
Données économiques
Une évaluation économique de la stratégie de surveillance apporte un argument supplémentaire pour ne pas multiplier les examens inutiles : une équipe lyonnaise (9) a comparé les coûts de 2 modalités de surveillance et retrouve une économie allant de 35 à 75 % selon l’année de surveillance, ce qui est loin d’être négligeable, compte tenu de la fréquence du cancer du sein.
Cas particulier des formes héréditaires de cancer du sein
Les femmes présentant une mutation génétique BRCA 1 ou 2 ou même les patientes sans mutation mais avec des risques familiaux avérés représentent une situation particulière car plus exposée à la récidive, dont la récidive controlatérale. Les signes radiologiques peuvent confirmer une suspicion clinique, dépister une récidive infra clinique ou dépister un cancer controlatéral.
L’IRM avec injection de gadolinium prend de plus en plus d’importance dans ces situations. Elle diminue les faux positifs, source de ré interventions inutiles car elle a une bonne spécificité, proche de 100 %, contrairement à la mammographie (4). C’est la raison pour laquelle elle peut être proposée à titre systématique annuellement, en alternance semestrielle avec l’écho mammographie.
L’examen gynécologique
– Les patientes ayant présenté un cancer du sein doivent, au plan gynécologique, être surveillées au même titre que les autres patientes.
– Les cancers de l’endomètre sous tamoxifène restent exceptionnels : estimés à 4 pour mille femmes traitées par tamoxifène : il n’y a donc aucune recommandation à faire des échographies pelviennes systématiques, ni bien sûr une hystéroscopie pour vérifier l’épaississement endométrial.
– Les femmes sous tamoxifène doivent simplement être prévenues de ce risque rare afin de s’alerter devant des métrorragies qui nécessiteront une consultation gynécologique et des investigations.
Conclusion
L’objectif de la surveillance du sein traité est de faire le plus rapidement possible le diagnostic d’une récidive loco régionale potentiellement curable, ainsi que des cancers controlatéraux et de la sphère gynécologique.
Le suivi repose sur l’examen clinique et la mammographie qui permettront de diagnostiquer la majorité des récidives.
Le dépistage des métastases, même si son intérêt en terme de survie n’est pas démontré, sera néanmoins proposé en cas de symptômes, permettant de prévenir des complications invalidantes grâce à un diagnostic plus précoce des métastases (fractures pathologiques, compressions médullaires …).
La surveillance aura aussi enfin comme fonction de dépister les complications iatrogènes (cancer de l’endomètre sous tamoxifène).
Eric Sebban – Chirurgien gynécologue et Oncologue ; Département de chirurgie gynécologique, mammaire et carcinologique ; Institut du sein Henri Hartmann Clinique Hartmann, Neuilly/Seine
Site web du Dr Sebban : https://www.docteur-eric-sebban.fr
RÉFÉRENCES
1. Gion M, Mione R, Nascibend et al. The tumor associated antigen CA 15.3 in primary breast cancer. Evaluated of 667 cases. Br. J. Cancer 1991, 63, 809-813.
2. Dilhuydy JM. Préparer tôt la réinsertion. In : Pujol H, Schraub S, Serin D eds. Les enjeux de la prise en charge des maladies du cancer. Paris, Flammarion, 1997, 97-100.
3. Derschaw DD, Mac Cormick B, Osborne MP. Detection of local recurrence after conservative therapy for breast carcinoma. Cancer 1992, 70, 493-496.
4. Gilles R, Guinebretière JM, Shapeero LG et al. Assessment of breast cancer recurrence with contrast-enhanced subtraction MR imaging: preliminary results in 26 patients. Radiology 1993, 188, 473-478.
5. Del Turco MR, Palli D, Carridi A et al. Intensive diagnostic follow up after treatment of primary breast cancer: a randomised trial. JAMA 1994, 271, 1593-1597.
6. Givio. Impact of follow up testing on survival and health-related quality of life in breast cancer patients. A multicenter randomised controlled trial. The GIVIO Investigators (Comment in : ACP J Club 1994; 121, 76-77). JAMA 1994, 271, 1587-1592.
7. Sebban E. Pour la surveillance intensive après traitement du cancer du sein. Gynécologie Obstétrique et Fertilité 34 (2006) 268-270.
8. American Society Of Clinical Oncology. Update of recommended breast cancer surveillance guidelines. J.Clin.Oncol.1999, 17; 1080-1082.
9. Mille D, Carrere MO et al. Economic impact of harmonizing medical practices: compliance with clinical practice guidelines in the follow up of breast cancer in a French comprehensive cancer center. J. Clin. Oncol. 2000, 18, 1718-1724.
Article paru dans le Genesis N°186 (septembre/octobre 2015)
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