Connus et utilisés depuis plus d’un siècle en gastro-entérologie, les probiotiques font leur apparition en gynécologie il y a environ 20 ans. Gadget sans intérêt pour les uns, réelles promesses d’avenir pour les autres, les probiotiques manquaient cruellement de support scientifique pour convaincre de leur utilité. Depuis ces dernières années, des études clinico-biologiques permettent d’éclairer davantage le champ d’action de ces produits et de mieux définir leurs indications.
Probiotiques: de quoi parle-t-on au juste?
En 2001, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) ont donné une définition officielle des probiotiques : «micro-organismes vivants qui, lorsqu’ils sont ingérés en quantité suffisante, exercent des effets positifs sur la santé, au-delà des effets nutritionnels traditionnels». Les probiotiques sont soit des bactéries, soit des levures. En pratique gynécologique, ce sont des lactobacilles car ces micro-organismes sont la pierre angulaire des mécanismes de défense vis-à-vis des infections génitales.
Propriétés des lactobacilles
Il serait fastidieux de détailler toutes les propriétés des lactobacilles dont certaines commencent à peine à être étudiées, mais nous pouvons définir quelques unes d’entre elles :
– Inhibition de la croissance des agents pathogènes
- par sécrétion d’acide lactique (à partir du glycogène cellulaire) qui maintient le pH vaginal autour de 4 à 4,5 empêchant ainsi la multiplication de la majorité des micro-organismes, sauf les lactobacilles eux-mêmes et Candida albicans qui sont acido-tolérants.
- par production de peroxyde d’hydrogène (H2O2) qui, en milieu acide et associé à un complexe peroxydaseions halogénures contenu dans le mucus vaginal, inhibe la croissance de bactéries telles que Gardnerella vaginalis, Escherischia coli, Atopobium vaginae, Staphylococcus aureus, Neisseria gonorrhoeae… ainsi que celle des virus comme le VIH (à forte concentration de lactobacilles producteurs de H2O2).
- production de bactériocines, protéines anti-bactériennes.
– Inhibition de l’adhésion du pathogène (séquence indispensable à l’expression du pouvoir pathogène des bactéries ou des levures)
- par adhésion des lactobacilles sur les récepteurs des cellules vaginales.
- par adhésion des lactobacilles à la fibronectine. Ces mécanismes d’adhésion aboutissent à la formation d’un biofilm, véritable barrière protectrice sur la muqueuse vaginale.
- par production de biosurfactants, inhibiteurs de l’adhésion de bactéries pathogènes sur les cellules vaginales.
– Inhibition de l’expansion du pathogène
- par co-agrégation avec des bactéries pathogènes empêchant ainsi leur adhésion à la paroi vaginale.
- par des propriétés immunostimulantes par activation des macrophages.
Il existe une grande variabilité de ces propriétés en fonction des souches de lactobacilles considérées. La connaissance progressive des propriétés des principales souches de lactobacilles présentes dans le vagin de femmes saines permet actuellement de mieux orienter le choix des souches composant les probiotiques.
Toutes les propriétés énumérées ci-dessus mettent en lumière le rôle de défense fondamental de ces micro-organismes dans la cavité vaginale et permettent de comprendre que toute altération quantitative ou qualitative de cette flore lactobacillaire compromet l’équilibre du microbiote vaginal et facilite la multiplication de germes commensaux ou à l’apparition de germes exogènes. C’est dans le but de pallier ces carences que l’idée d’utiliser les probiotiques a germé.
Les études clinico-biologiques en gynécologie sont nombreuses
Malheureusement, ces études sont très hétérogènes tant d’un point de vue méthodologique, que des populations étudiées (critères d’inclusion, nombre de patientes étudiées, critères d’évaluation), que des produits testés (souches de probiotiques) des voies d’administration ou des durées de traitement. Si l’impression générale est plutôt en faveur d’un réel intérêt de ce type de traitement, il reste beaucoup de critères d’utilisation à préciser.
– Probiotiques et candidose
- Une étude très récente (1) a montré comment, in vitro, des souches de lactobacilles (Lactobacillus rhamonosus GR-1 et Lactobacillus reuteri RC-14) inhibait la croissance de Candida albicans en perturbant sur activité métabolique parfois jusqu’à la mort du pathogène.
- Etude Candiflore (Lactobacillus rhamonsus Lcr35) : 409 femmes atteintes de candidose récidivante traitées pour leur épisode de candidose puis réparties en 2 groupes : l’un sans traitement complémentaire (30%), l’autre (70%) recevant 2 capsules vaginales de Lcr35 par jour pendant 7 jours puis 1 capsule vaginale par jour pendant 14 jours. L’évaluation se fait 6 mois après l’inclusion : 28,9% des patientes non traitées n’ont pas récidivé alors que dans le groupe traité par probiotiques ce pourcentage s’élève à 56,6% (différence statistiquement significative). Ainsi la prescription d’un probiotique en adjuvant du traitement classique de la candidose a permis de diminuer de près de 50% le nombre de récidive en 6 mois d’étude.
- 55 femmes (2) atteintes de candidose vaginale traitées par fluconazole uni-dose avec soit placebo per os soit probiotiques (L. rhamnosus + L reuterii) per os pendant 4 semaines.
A 4 semaines, on observe 3 fois moins de femmes symptomatiques et Candida est présent 3 fois moins souvent dans le groupe probiotique que dans le groupe placebo.
- Dans une revue des études publiées avant 2006 (3), Falagas et al concluaient : «Il y a des preuves limitées de l’intérêt de l’utilisation des probiotiques au cours des candidoses récidivantes. Cependant, leur utilisation empirique peut être retenue chez les patientes présentant plus de 3 récidives de candidoses par an…».
– Probiotiques et vaginose
C’est dans ce domaine que les probiotiques semblent naturellement justifiés puisque cette pathologie procède d’un déséquilibre du microbiote vaginal. La grande majorité des études concluent à un certain degré d’efficacité des probiotiques dans la prévention des récidives de la vaginose bactérienne.
- Parmi toutes ces études, citons celle menée sur 100 femmes atteintes de vaginose et traitées par un gel de clindamycine, suivi de 10 jours par mois pendant 3 mois soit de probiotiques vaginaux (L gasseri + L rhamonosus) soit de placebo (4). Toutes ces patientes ont pratiqué un auto-prélèvement vaginal en période pré-menstruelle pendant 6 mois et l’évaluation a été menée à 6 mois soit 4 mois après la fin du traitement par probiotiques ou placebo. Si le taux de guérison à 1 mois (c’est-à-dire après 1 cure de probiotiques ou de placebo) ne diffère guère dans les 2 groupes, le taux de récidives est significativement abaissé dans le groupe probiotiques vs le groupe placebo.
- Mais il existe des résultats divergents : Bradshaw et al (5) ont comparé les récidives de vaginose bactérienne chez 3 groupes de femmes atteintes de vaginose bactérienne traitées par métronidazole per os pendant 7 jours suivis d’un traitement soit par clindamycine gel vaginal pendant 7 jours, soit par 1 ovule de probiotique (Lactobacillus acidophilus + oestriol) pendant 12 jours, soit par un ovule placebo pendant 12 jours. Aucune différence statistiquement significative n’a pu être mise en évidence dans le nombre de récurrences à 1 et 6 mois au sein des 3 groupes. Si cette étude comporte un effectif important (408 inclusions pour 351 suivis à 6 mois), elle est discutable sur la souche de lactobacilles choisie (souche «mineure» dans les isolats de femmes saines) et sur la durée de traitement, puisque l’on s’oriente plutôt vers des cures répétitives que sur des cures uniques.
- Malgré quelques rares résultats décevants, l’indication des probiotiques dans la prévention des récidives de vaginose bactérienne apparaît comme licite. Dans uneétude récente (6), Larson et al recommandent des cures répétitives de probiotiques (association de plusieurs souches) post menstruelles en association avec un traitement antibiotique plus agressif (cures successives post menstruelles de métronidazole ou de clindamycine).
Les études clinico-biologiques en gynécologie sont nombreuses
– Les indications
Selon la majorité des études disponibles, la meilleure indication des probiotiques est la prévention des récidives d’infections vaginales : candidoses et vaginoses bactériennes. Cependant, certains travaux mettent en lumière une augmentation des taux de guérison d’infection isolée en associant anti-infectieux et probiotiques (surtout dans la vaginose). En revanche, il est trop tôt pour considérer que les probiotiques puissent être indiqués comme traitement des infections vaginales.
– Quels lactobacilles utiliser ?
Il est clair que les probiotiques doivent contenir des souches de lactobacilles normalement retrouvées dans le vagin de femmes saines. Une étude suédoise (6) a montré que les plus fréquentes sont L. crispatus, L. gasseri, L. iners et L. jensenii, L. crispatus étant plus fréquent chez les femmes saines et L. iners plus fréquent chez les femmes atteintes de vaginose.
Ces lactobacilles doivent, en outre, être dotés de certaines propriétés vues plus haut : L. gasseri et L. rhamnosus, de part leurs propriétés intrinsèques, ont montré des propriétés inhibitrices de la croissance, de l’adhésion et de l’expansion de germes potentiellement pathogènes. L. crispatus a montré un pouvoir de colonisation du vagin très important.
Larson (6) a testé plusieurs associations de lactobacilles :
L. gasseri + L. rhamnosus par voie vaginale
L. crispatus + L. gasseri + L. jenseneii par voie vaginale
L. crispatus + L. gasseri + L. crispatus par voie vaginale
L. gasseri + L. rhamnosus + L. gasseri par voie vaginale et voie orale
L. rhamnosus + L. reuteri par voie orale
Dans cette étude, il n’a trouvé aucune supériorité d’efficacité d’une de ces associations. En revanche, il existe des différences sur la qualité de colonisation des souches : L. crispatus a colonisé moins de femmes mais avec une durée de colonisation plus longue (jusqu’à 4 mois après l’arrêt du traitement). L. rhamnosus en revanche colonise davantage de femmes mais pour une durée inférieure.
– Quelle forme de traitement utiliser ?
- la voie vaginale semble la plus naturelle qu’il s’agisse d’ovules de capsules vaginales ou de tampons périodiques imprégnés de probiotiques. Dans ce dernier cas, il est nécessaire que la durée des menstruations soit au moins égale à 3 jours. C’est, dans l’état actuel de nos connaissances la voie d’administration à privilégier. En cas de nécessité de traitement local associé (œstrogènes locaux, anti-infectieux…) on choisira la voie orale pour les probiotiques.
- la voie orale : l’administration de lactobacilles par voie orale conduit à une colonisation vaginale à partir de l’intestin, cette colonisation s’effectuant par migration via le périnée et la vulve. Des études cliniques utilisant des souches de L. rhamnosus GR-1 et de L. reuteri RC-14 ont confirmé ce mode de colonisation (7).
– Quelle durée de traitement ?
Les cures courtes et uniques de probiotiques n’ont pas donné les meilleurs résultats dans les études cliniques. On se dirige plutôt vers des cures assez prolongées (12 à 14 jours) et répétées (2 à 3 mois de suite).
Quelles sont les causes des échecs aux probiotiques?
Peu d’études existent à ce sujet. L’une d’entre elles (8), montre que l’implantation vaginale de lactobacilles exogènes (L. crispatus dans cette étude) est inversement proportionnelle à la concentration initiale de bactéries impliquées dans la vaginose bactérienne, à la préexistence de L. crispatus endogènes chez les femmes traitées et aux rapports sexuels pendant le traitement (rôle probable du pH séminal élevé limitant l’implantation des lactobacilles).
Ces résultats plaident en faveur de traitements probiotiques plus prolongés ou répétitifs et au choix soigneux des souches de lactobacilles. L’idéal serait d’évaluer la flore lactobacillaire endogène vaginale préalablement à tout traitement probiotique, ce qui est totalement utopiste. Ceci est peut-être un argument supplémentaire en faveur de l’association de souches de lactobacilles, de manière à augmenter les chances de colonisation efficace.
Il faut également insister sur les qualités de fabrication indispensables à l’efficacité de ces produits. Il existe un cahier des charges extrêmement précis concernant la concentration de lactobacilles, la stabilité des souches, la pureté des souches… qui relèvent de la rigueur de fabrication pharmaceutique. Malheureusement, nombre de pseudo- probiotiques commercialisés ne répondent aucunement à ces normes et sont sources d’échecs thérapeutiques.
Enfin, quelques cas particuliers
– Grossesse : il n’y a pas de contre-indication à l’utilisation de probiotiques pendant la grossesse. L’impact des probiotiques sur la prévention de l’eczéma atopique de l’enfant de 2 à 7 ans est reconnu (9), en revanche, il n’y a, dans l’immédiat, pas d’études suffisamment explicites sur la prévention de la prématurité.
– Ménopause : l’intérêt des probiotiques chez la femme ménopausée non traitée est limité puisque les lactobacilles sont naturellement rares dans le vagin de femmes en carence hormonale. Rappelons qu’une imprégnation œstrogénique optimale est indispensable à la colonisation lactobacillaire.
En conclusion
Les probiotiques sont, sans aucun doute, une arme supplémentaire à l’arsenal thérapeutique essentiellement dans le domaine de la prévention des récidives infectieuses (candidoses et vaginoses bactériennes). Les données actuelles conduisent à privilégier la voie locale, les traitements longs ou répétitifs, mais à la lumière des études en cours ou à venir, les indications et les voies d’administration évolueront probablement dans les mois prochains. En revanche, il convient d’être exigeant sur la qualité de fabrication de ces produits et réserver ses prescriptions à des produits ayant fait l’objet d’études clinico-biologiques.
Jean-Marc Bohbot – Institut Fournier, Paris
RÉFÉRENCES
1. FKöhler GA, et al. Probiotic interference of Lactobacillus rhamnosus GR-1 and Lactobacillus reuteri RC-14 with the opportunistic fungal pathogen Candida albicans. Infect Dis Obstet Gynecol. 2012;2012:636474
2. Martinez RC et al Improved treatment of vulvovaginal candidiasis with fluconazole plus probiotic Lactobacillus rhamnosus GR-1 and Lactobacillus reuteri RC-14. Lett Appl Microbiol. 2009 Mar;48(3):269-74
3. Falagas ME, et al Probiotics for prevention of recurrent vulvovaginal candidiasis: a review. J Antimicrob Chemother . 2006 Aug;58(2):266-72.
4. Larsson PG et al Human lactobacilli as supplementation of clindamycin to patients with bacterial vaginosis reduce the recurrence rate; a 6-month, doubleblind, randomized, placebo-controlled study. BMC Womens Health.2008 Jan 15;8:3.
5 . Bradshaw CS et al Efficacy of Oral Met ronidazole with Vaginal Clindamycin or Vaginal Probiotic for Bacterial Vaginosis: Randomised Placebo- Controlled Double-Blind Trial PLoS One.2012;7(4):e34540.
6. Extended antimicrobial treatment ofbacterial vaginosis combined with human lactobacilli to find the best treatment and minimize the risk of relapses.Larsson PG, et al BMC Infect Dis. 2011 Aug 19;11:223.
7. Anukam K, et al. Augmentation of antimicrobial metronidazole therapy of bacterial vaginosis with oral probiotic Lactobacillusrhamn osus G R – 1 and Lactobacillus reuteri RC-14: randomized, double-blind, placebo controlled trial. Microb Infect.2006;8:1450–4.
8. Ngugi BM, et al Effects of bacterial vaginosisassociated bacteria and sexual intercourse on vaginal colonization with the probiotic Lactobacillus crispatus CTV – 05 . Sex Transm Dis. 2011 Nov;38(11):1020-7
9. Doege K et al.Impact of maternal supplementation withprobioticsduringpregnancy on atopic eczema in childhood–a metaanalysis. Br J Nutr. 2012 Jan;107(1):1-6
Article paru dans le Genesis N°181 (octobre/novembre 2014)
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