Dans le passé, l’incontinence urinaire était toujours liée aux personnes âgées, voire vivant en institutions, quant au prolapsus, plus connu sous le terme de «descente de la matrice ou d’organes», il était considéré comme plus en rapport avec le vieillissement, un travail pénible ou lié à une grande multiparité. Force est de constater que les patientes ont changé et que la moyenne d’âge est actuellement très jeune.
Il est de pratique courante de recevoir des jeunes femmes qui sont à la recherche d’une solution à leur problème qu’elles osent maintenant aborder. Paradoxalement, le plus souvent confrontées à une méconnaissance de cette «nouvelle» pathologie auprès de leur médecin, elles ne trouvent pas toujours de réponses… Cependant, les causes sont nombreuses et la physiopathologie variée (1), comme cet article tente de le démontrer.
Prévalences
L’incontinence urinaire (IU) n’est pas uniquement une pathologie du 3e et 4e âge (2). La prévalence de l’Incontinence Urinaire d’Effort (IUE) augmente significativement avec l’âge ≥ 40 ans mais la pathologie périnéale chez la jeune femme est sous-estimée et le nombre est croissant ces dernières années (3). L’hyperactivité vésicale traduisant l’urgenturie (audition de l’eau qui coule, changement de température, signe de la clef dans la serrure, vue de l’ascenseur) est également fréquente et pas nécessairement liée à la parité. La majoration par les stress professionnels ou familiaux est souvent constatée (incontinence au fou rire, frayeur, au cours des rapports sexuels).
La dysurie se situe entre 2.7% et 23% (4). Elle peut se manifester par la diminution de la puissance du jet, des gouttes retardataires, la nécessité de pousser pour débuter la miction, la sensation de vider incomplètement la vessie. Chez la femme notamment jeune, son existence doit toujours faire éliminer une cause neurologique ou psychogène ainsi que les cystites à répétition. A noter que chez la femme jeune, cette dysurie est associée souvent à une hyperactivité vésicale.
Le prolapsus génito-urinaire est une pathologie fréquente chez la femme jeune. En dix ans, les consultations liées à ce trouble auraient augmenté de 45%. Le prolapsus de la nullipare et de la femme jeune < 40 ans existe dans 12% des prolapsus. Une étude (5) portant sur une population de 143 femmes, appartenant à l’Académie Militaire Américaine, a montré que 50,3% des cadettes nullipares avaient un prolapsus de stade I à l’examen, principalement dans le compartiment antérieur. Là encore, cette étude démontre que l’activité physique intense chez la nullipare pourrait causer des anomalies de la statique pelvienne.
La constipation chronique de l’adulte (à partir de 6 mois) est un symptôme très fréquent qui affecterait environ 25% de la population générale. La population féminine est particulièrement touchée et 75% des personnes constipées seraient des femmes. Lors de la grossesse, la progestérone est sécrétée en quantité encore plus importante accentuant d’autant plus cet effet d’intestin «paresseux». De plus, vers la fin de la grossesse, la compression du côlon par l’utérus contribue également au ralentissement du transit intestinal. Le risque plus élevé après accouchement (6) est en grande partie due aux lésions liées aux accouchements.
L’incontinence anale après un premier accouchement est de 13%. Elle ne concerne le plus souvent que les gaz même si 1 à 2% des primipares n’arrivent pas à retenir les selles liquides. Il est probable que les accouchements traumatiques successifs provoquent des lésions irréversibles responsables d’une incontinence anale chez la femme d’âge mûr. 1961 femmes nullipares nulligestes ont participé à une étude (7) : 15.7% des femmes souffrent d’incontinence urinaire et 9.0% d’incontinence anale.
Les douleurs pelviennes chroniques représenteraient entre 10 et 30% des consultations de gynécologie d’après Marès (8). Ces douleurs peuvent concerner différents organes : digestif, urologique, ou gynécologique. Si 52% des patientes se plaignent de douleurs pelviennes, 24% souffrent également d’un syndrome du colon irritable, 9% d’un syndrome pollakiurie-urgenturie. Le point commun à l’ensemble des pathologies pelvi-périnéales est souvent la présence de douleurs musculaires périnéales associées. Une étude (9) a montré que les douleurs périnéales sont proportionnelles aux lésions périnéales du post-partum.
La dysfonction sexuelle féminine (10) est caractérisée par une perturbation des processus qui caractérisent le déroulement de la réponse sexuelle et est en fait assez courante et proche de 40%. Les causes en sont multiples : facteurs psychologiques (antécédents d’abus sexuels, dépression, anxiété), problèmes relationnels, facteurs obstétricaux (dyspareunies, laxité vaginale) et facteurs neurologiques (lésions médullaires traumatiques, neuropathies périphériques). La vulvodynie, la vestibulite vulvaire, le vaginisme, sont très fréquents chez la femme jeune et vont avoir un retentissement destructeur sur la qualité de la vie.
La physiopathologie des dysfonctionnements périnéaux est complexe et incomplètement élucidée. Elle est multifactorielle, résultant des interactions entre des facteurs constitutionnels et des facteurs acquis, aboutissant à la fragilisation du soutien périnéal. Les étiologies sont multiples et souvent intriquées et on peut invoquer : des facteurs prédisposants (ethnie, génétique, pathologie du collagène, environnement), des facteurs déclenchants (grossesse, accouchement, chirurgie) et des circonstances aggravantes (constipation, obésité, maladies respiratoires chroniques, profession, sport).
Hyperactivité vésicale : signe de l’ascenseur ou de la serrure
Physiopathologie : facteurs prédisposants et facteurs déclenchants
Les facteurs génétiques. Une incidence élevée des prolapsus au sein de certaines parentèles a été observée (11) et des études de jumelles homozygotes ont corroboré ces résultats (12). En dehors du contexte familial, des différences au niveau de plusieurs gènes ont pu être décrites. Les différences pourraient être liées à l’expression différentielle des gènes des protéines structurelles liées à la myosine. Des prolapsus ont été observés chez des nullipares, rendant hautement probable l’existence d’un déterminisme génétique et des facteurs congénitaux et raciaux ont été étudiés jusqu’au niveau moléculaire et génique. Ces constatations supportent la théorie d’une composante familiale héréditaire certaine. Ainsi dans ce cas la césarienne programmée ne pourrait pas préserver de l’apparition d’une IUE ou d’un prolapsus après accouchement lorsqu’il existe un passé familial à risque (13).
Les facteurs raciaux. Il existe une différence entre diverses ethnies. Les femmes de race blanche couraient un risque accru de présenter une incontinence à l’effort. Ces différences en matière de prévalence pourraient être attribuables aux différences anatomiques et physiologiques inhérentes aux différents groupes raciaux. Whitcomb (14) compare les facteurs de risque dans une cohorte multiethnique : 44% de race blanche, 20% d’Afro-Américaines, 18% d’Américaines d’origine asiatique et 18% d’Hispaniques. Le risque de prolapsus symptomatique était plus élevé dans la race blanche. Les femmes de race noire et les Asiatiques font moins de prolapsus et d’incontinence. Cependant, les différences raciales semblent s’estomper avec la généralisation des modes de vie (15,16) pouvant expliquer en partie l’augmentation croissante des patientes d’origines ethniques différentes et de plus en plus jeunes.
Les facteurs tissulaires. La diminution d’expression du gène de l’élastine et la perturbation de son métabolisme sont en cause dans la genèse des prolapsus. Toute altération du collagène représente un facteur constitutionnel non négligeable. Il a été démontré que les mères et les sœurs des femmes incontinentes sont plus souvent incontinentes que les mères et les sœurs du groupe contrôle asymptomatique (17). La constatation de prolapsus chez les femmes jeunes nullipares, voire vierges, montre qu’il existe des prédispositions individuelles. L’hypermobilité articulaire et l’hyperlaxité ligamentaire sont associées au risque plus élevé de prolapsus chez la femme jeune (18) et pourraient expliquer la recrudescence des dysfonctionnements périnéaux chez ces femmes jeunes et très sportives (3).
Les facteurs morphologiques et musculaires. Le prolapsus chez les femmes jeunes, voire nullipares montre qu’il existe des prédispositions qui peuvent être liées à : une hypotrophie de l’appareil suspensif, un défaut de développement des Levator Ani (4), un allongement tapiroïde du col utérin, des anomalies morphologiques du rachis et du bassin osseux. Des déhiscences des LA ont été mises en évidence par IRM (19) chez 30% des primipares et ces lésions contribuent au développement des prolapsus. Le bruit d’air vaginal est une expulsion d’air du vagin provoquant un bruit caractéristique au cours des rapports sexuels ou dans certaines activités sportives. Les causes les plus fréquentes résultent d’une hyperlaxité vaginale et parfois d’une avulsion des LA qui favorisent ainsi l’entrée d’air (1, 20). L’émission d’eau du vagin (bain, piscine, aquabiking) relève des mêmes causes.
Les facteurs hormonaux. Les symptômes d’IU évoluent en fonction du cycle. Juste avant, durant et juste après les règles, est la période avec le taux le plus bas d’œstrogènes. L’hypoœstrogénie peut entrainer une aggravation de l’incontinence urinaire. Liu (21) a étudié l’effet de 17β-estradiol (E 2) sur la prolifération des fibroblastes provenant de ligaments cardinaux chez les femmes avec ou sans prolapsus. Le taux de croissance de fibroblastes (prolapsus) était significativement plus lent que celui des contrôles dans des conditions normales de culture. Il existe une relation chez les femmes jeunes entre hypoœstrogénie et incontinence ou prolapsus.
Les facteurs obstétricaux. Les facteurs tels que: poids de l’enfant > 3.9 Kg à la naissance ; périmètre crânien > 35,5 cm ; prise de poids de grossesse > 13 Kg ; expression abdominale ; plus 3 accouchements par voie vaginale et lésions périnéales représentent des facteurs de risque certains. D’autres facteurs de risque sont probables : l’âge maternel > 40 ans ; l’obésité ; la durée d’expulsion > 100 min ; l’épisiotomie médiane ; les manoeuvres instrumentales (22). 20% des primipares ont des lésions des Levator Ani en IRM après un accouchement vaginal, ces lésions sont associées au risque d’IUE de novo.
Autres facteurs déclenchants. Parmi ceux-ci, on peut citer : la surcharge pondérale (23) ; le tabagisme chronique (24) ; les maladies respiratoires chroniques (25) ; la constipation (26). Les points communs de ces affections sont une augmentation des pressions intraabdominales entraînant des contraintes excessives sur le plancher pelvien. Ces dernières ont pour conséquences, une modification du positionnement du pelvis et des viscères pelvi-périnéaux, et de possibles lésions des nerfs du système somatique sacré par mécanisme d’étirement des nerfs pudendaux (dénervation partielle périphérique).
Certaines activités professionnelles. Les efforts physiques réguliers dans certaines activités professionnelles sont délétères pour la continence urinaire et/ou la statique pelvienne (27). Il existe donc des «professions à risque périnéal Ò». Actuellement, on retrouve des activités professionnelles avec : station debout prolongée, manutention, levage lourd, flexion du buste. L’étude de Woodman (28) portant sur 1004 femmes se présentant pour des soins gynécologiques de routine a montré plus de prolapsus chez les ouvrières, les employées d’usine que dans des catégories d’emplois sédentaires. De nombreuses activités professionnelles actuellement rendent compte de l’augmentation constatée d’une nouvelle pathologie périnéale.
Certaines activités sportives. Chez la femme sportive, on retrouve des facteurs constitutionnels (hyperlaxité ligamentaire, faiblesse périnéale) et environnementaux (high impact, sauts répétés, intensité et durée de l’activité) (29). Ainsi le risque semble maximum pour les femmes pratiquant un sport à haut impact périnéal mais surtout en fin d’entraînement (probablement par le biais de la fatigue). Les activités du groupe 1 dans la classification de l’American Sports Society (29), fournissent une explication du grand nombre de jeunes femmes et adolescentes qui signalent une IUE lors des activités telles que : trampoline, saut à la corde, arts martiaux, équitation, volley-ball… Une particularité est représentée par les fuites urinaires non liées à l’effort de type hyperactivité vésicale constatées au cours du jogging et surtout lors de courses d’endurance de type marathon pour lesquelles l’incontinence est ressentie comme une urination et non comme une IUE…
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Alain Bourcier – Consultant en périnéologie ; Centre d’Imagerie Médicale, Juras
RÉFÉRENCES
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Article paru dans le Genesis N°184 (mai 2015)
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